La responsabilité pour troubles anormaux de voisinage imputables à une opération de construction

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Les opérations de construction peuvent être sources de divers désagréments causés par l’activité du chantier.

Les voisins peuvent ainsi se plaindre de la propagation de poussières, de problèmes de circulation ou encore du bruit causé par les engins de chantier.

Des désordres causés aux avoisinants peuvent également survenir notamment lors des opérations de remblaiement ou de terrassement et peuvent entraîner une déstabilisation ou un affaissement des immeubles voisins.

Qu’est-ce qu’un trouble anormal de voisinage ?

Il s’agit d’une notion consacrée par la jurisprudence suivant laquelle « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage » (Civ. 3e, 13 nov.1986, Bull. Civ. III, n°172).

Cette théorie jurisprudentielle s’appuie sur l’article 544 du Code civil qui dispose que « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».

Ainsi, les voisins alléguant l’existence de troubles anormaux de voisinage peuvent rechercher la responsabilité du voisin à l’origine de ceux-ci.

Pour pouvoir donner lieu à réparation, les troubles doivent excéder les inconvénients normaux de voisinage.

L’appréciation du caractère anormal du trouble relève du pouvoir souverain des juges du fond.

L’anormalité du trouble doit être appréciée en fonction de sa gravité et de sa durée.

Constitue un trouble anormal de voisinage :

  • L’édification d’un immeuble à proximité immédiate du mur séparatif dont les fenêtres donnent directement vue sur la propriété du voisin à tel point qu’elles empêchent une utilisation normale du jardin et de la piscine (CA Paris, 2e ch. A, 7 avr. 1998 : JurisData n° 1998-020985) ;
  • La circulation et le stationnement pendant quinze mois environ de camions et engins dans le cadre d’une activité de terrassement, démolition, location d’engins ayant privé l’habitation voisine de sa tranquillité et détruit l’harmonie du cadre de vie environnant (CA Paris, 23e ch. B, 25 févr. 1994 : JurisData n° 1994-022179) ;
  • L’occupant d’un logement est responsable, sur le fondement du trouble anormal du voisinage, des infiltrations se manifestant chez ses voisins quand bien même les défauts de son bien à l’origine des désordres ne lui seraient pas imputables (CA Versailles, 13 juin 2019, n° 18/00172).

Ne constitue pas un trouble anormal de voisinage :

  • Les tiers qui ont subi, du fait de travaux de démolition d’un immeuble voisin, des troubles de jouissance, ne peuvent prétendre à une indemnisation dès lors que ces troubles n’ont pas excédé ceux découlant inévitablement de la proximité d’un chantier (CA Besançon, 20 janv. 1987 : JurisData n° 1987-040740) ;
  • La communication d’un incendie entre immeubles voisins ne relève pas du régime de la responsabilité du fait des troubles excédant les inconvénients normaux de voisinage mais des dispositions de l’article 1242, alinéa 2, du Code civil. (Civ. 2, 07-02-2019, n° 18-10.727, F-P+B, Rejet).

Le respect des règles d’urbanisme exclut-il un recours sur le fondement du trouble anormal de voisinage ?

Un trouble anormal de voisinage peut être constitué même si la construction a bénéficié d’un permis de construire et était conformité avec les règles de l’urbanisme.

Le permis de construire devenu définitif, car purgé des voies de recours, ne protège pas nécessairement contre une action engagée sur le fondement des troubles anormaux de voisinage.

Ainsi, il a été jugé que la démolition d’une construction réalisée conformément à un permis de construire et dans le respect des règles d’urbanisme peut être prononcée car générant un trouble anormal de voisinage (Civ. 3e, 7 décembre 2017, n° 16-13 309).

Qui sont les voisins victimes ?

Il peut s’agir du propriétaire du fonds voisin même si ce dernier n’y réside pas.

Il peut également s’agir de celui qui réside sur le fonds voisin bien qu’il n’ait pas la qualité de propriétaire.

Qui peut voir sa responsabilité engagée au titre des troubles anormaux de voisinage ?

Le maître de l’ouvrage est le voisin à l’origine du trouble, dès lors qu’il a pris la décision de procéder à l’acte de construire, bien qu’il n’en soit pas l’auteur.

Sa responsabilité peut se voir engagée sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage dès lors que le voisin victime démontre l’anormalité du trouble.

Les constructeurs peuvent également voir leur responsabilité engagée s’il existe une « relation de cause directe entre les troubles subis et les missions respectivement confiées aux constructeurs » (Civ. 3e, 19 mai 2016, n°15-16.248).

Ainsi, l’entreprise intervenant sur le chantier voisin est responsable de plein droit dès lors qu’elle a exercé une activité en relation directe avec le trouble anormal causé.

Un architecte peut voir sa responsabilité engagée sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage si les prestations intellectuelles accomplies sont en relation directe avec les troubles allégués (Civ. 3e, 28 avr. 2011, n°10-14.516).

Un arrêt récent de la Cour de cassation est venu étendre l’application de la théorie des troubles anormaux de voisinage aux entreprises de travaux publics.

La troisième Chambre civile de la Cour de cassation a ainsi jugé qu’en « application du principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage, l’entreprise, y compris de travaux publics, est responsable de plein droit pour avoir exercé une activité en relation directe avec le trouble anormal causé nonobstant le fait que l’origine du dommage causé par un véhicule soit située sur le domaine public » (Civ.3e, 8 nov. 2018, n°17-24.333 et n°17-26.120 : JurisData n°2018-019619).

A quelles conditions la responsabilité du voisin auteur du trouble peut-elle se trouver engagée ?

Les conditions de l’action exercée par le voisin victime sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage varient selon que le défendeur est le maître d’ouvrage ou un constructeur.

Dans le cadre d’une action initiée par le voisin victime à l’encontre du maître d’ouvrage, il doit seulement rapporter la preuve de l’anormalité du trouble.

En revanche, s’il choisit d’assigner également les constructeurs, il devra démontrer la relation de cause directe entre les troubles subis et les missions respectivement confiées aux constructeurs.

Dans les deux cas, il n’est pas nécessaire de démontrer que le voisin auteur du trouble a commis une faute pour engager sa responsabilité. Il s’agit d’une responsabilité de plein droit.

Ainsi, tout intervenant au chantier, qu’il soit entrepreneur, architecte, ou maître d’œuvre est susceptible de voir sa responsabilité engagée sur le fondement des troubles anormaux de voisinage, au même titre que le maître d’ouvrage, en l’absence de toute faute, sous réserve que soit démontrée une relation de cause directe entre les troubles subis et les missions respectivement confiées aux constructeurs.

Quel est le délai de prescription de l’action en responsabilité fondée sur la théorie des troubles anormaux de voisinage ?

L’action pour trouble anormal de voisinage constitue une action en responsabilité extracontractuelle soumise à la prescription de 5 ans (Civ. 2e, 7 mars 2019, n°18-10.074 : JurisData n°2019-003323).

Le délai de prescription de 5 ans commence à courir à compter de la date de la découverte du trouble ou à la date à laquelle le demandeur aurait dû constater l’existence de ce trouble dans la limite du délai butoir de 20 ans prévu à l’article 2232 du Code civil.

Quid de l’action subrogatoire exercée par le maître de l’ouvrage à l’encontre des constructeurs ?

En pratique, en présence de troubles anormaux de voisinage imputables à une opération de construction, le voisin victime recherchera le plus souvent uniquement la responsabilité du maître de l’ouvrage. Ce dernier, condamné à indemniser son voisin victime sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage, peut se retourner contre les constructeurs intervenus sur le chantier dans le cadre d’un recours subrogatoire.

En revanche, la recevabilité du recours subrogatoire du maître de l’ouvrage contre les constructeurs est subordonnée à l’indemnisation préalable du voisin.

Ainsi, en l’absence d’indemnisation versée par le maître d’ouvrage au voisin victime, son action contre l’entrepreneur ayant causé les dommages, est fondée sur la responsabilité contractuelle de droit commun et nécessite la preuve d’une faute (Cass. 3e civ., 20 nov. 2002 : JurisData n° 2002-016438).

Le sous-traitant peut-il voir sa responsabilité engagée au titre des troubles anormaux de voisinage ?

Le constructeur ayant été condamné à indemniser le maître d’ouvrage dans le cadre d’une action en responsabilité sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage peut exercer une action récursoire à l’encontre de son sous-traitant.

Cette action sera fondée sur la responsabilité contractuelle de droit commun dès lors que le sous-traitant ne peut être considéré comme un voisin de la victime, sa présence sur le chantier étant limitée.

Quels sont les critères de répartition de la dette ?

La Cour de cassation pose comme clé de répartition la gravité des fautes respectivement commises.

Il convient ainsi d’établir la part contributive de chacun des constructeurs et de leurs sous-traitants à la réalisation du dommage.

Recommandations du cabinet BJA :

Le demandeur d’une action fondée sur la théorie des troubles anormaux de voisinage est tenu de constituer un dossier sérieux afin de démontrer l’anormalité du trouble : constat d’huissier, rapport d’expertise amiable ou judiciaire, attestations, photographies … Le défendeur, en dépit des troubles subis par le voisin, ne pourra pas s’exonérer de sa responsabilité en démontrant l’absence de faute. Il le pourra néanmoins en justifiant d’un cas de force majeure ou de la faute de la victime. Pour apprécier l’anormalité du trouble, les Tribunaux se fondent sur l’environnement et sur les constats qui auront pu être réalisés dans le cadre d’une procédure de référé préventif.

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