Le maître d’ouvrage peut agir à l’encontre des constructeurs, sur le fondement de la garantie décennale de l’article 1792 du Code civil, dans les 10 ans à compter de la réception lorsqu’un désordre affectant l’ouvrage porte atteinte à sa solidité ou le rend impropre à sa destination.
En vertu de l’article 1792-4-3[1] du Code civil, le maître d’ouvrage peut agir dans ce même délai de 10 ans à l’encontre d’un sous-traitant ou d’un constructeur, même si le désordre ne présente pas le caractère de gravité requis pour engager la responsabilité décennale (ex : dommages intermédiaires, travaux modestes sur existants, pose d’éléments d’équipement exclusivement professionnels).
Cet article ne précise pas expressément si ce délai de forclusion s’applique dans le cadre de l’action du maître d’ouvrage à l’encontre d’un constructeur ou si un constructeur peut aussi s’en prévaloir dans le cadre d’un recours à l’encontre d’un autre constructeur.
A défaut, le délai de prescription de droit commun de 5 ans prévu à l’article 2224 du Code civil[2], s’appliquerait.
Le recours d’un constructeur contre un autre constructeur a pour objet de déterminer la charge définitive de la dette d’indemnisation du maître de l’ouvrage que devra supporter chaque responsable.
Le débat s’était donc élevé depuis plus de 10 ans sur la question de savoir si les recours entre locateurs d’ouvrage étaient soumis aux délais de l’article 2224 du Code civil, aux termes duquel les actions se prescrivent par 5 ans à compter de la manifestation du dommage, ou de l’article 1792-4-3 du même code, selon lequel les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs se prescrivent par 10 ans à compter de la réception ?
Aux termes de trois arrêts majeurs rendus le 16 janvier 2020[3] et publiés au Bulletin, la Cour de cassation a tranché cette question.
Quel est le fondement juridique de l’action formée par un constructeur à l’encontre d’un autre constructeur ?
La Cour de cassation a jugé qu’une telle action ne peut être fondée sur la garantie décennale dès lors que l’action décennale est une action strictement personnelle de la maîtrise d’ouvrage.
La Cour de cassation retient que « l’action de l’article 1792-4-2 du Code civil, réservée au maître de l’ouvrage, n’est pas ouverte aux tiers à l’opération de construire ».
Le recours en garantie entre les constructeurs a pour fondement la responsabilité de droit commun applicable dans leurs rapports. Ainsi, l’action d’un constructeur contre un autre constructeur est de nature contractuelle si les constructeurs sont contractuellement liés et de nature quasi-délictuelle s’ils ne le sont pas.
La haute juridiction écarte donc expressément le délai d’action décennal de 1792-4-3 au profit de l’application exclusive de la prescription de droit commun de l’article 2224 du code civil.
Quel est le délai d’action régissant les recours entre constructeurs ?
L’article 1792-4-3 du Code civil n’a donc vocation à s’appliquer uniquement aux actions de la maîtrise d’ouvrage contre les constructeurs ou les sous-traitants.
Dans ces conditions, le recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant est soumis à la prescription quinquennale de droit commun de l’article 2224 du Code civil.
Quel est le point de départ du délai de prescription ?
La Cour de cassation se prononce, aux termes de ces arrêts, sur la question du point de départ du délai de prescription.
L’article 2224 du Code civil dispose :
« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
En vertu de l’article susvisé, le délai de prescription court à compter du jour de la connaissance, par le titulaire d’un droit, des faits lui permettant de l’exercer.
Selon la Cour de cassation, le point de départ du délai de prescription est le jour de délivrance de l’assignation (en référé-expertise ou au fond).
Elle énonce ainsi : « le point de départ du délai de prescription est fixé au jour de la connaissance par le constructeur des faits lui permettant d’exercer son recours en garantie, soit, en l’espèce, au jour de l’assignation principale du maître de l’ouvrage en référé-expertise. »
La haute juridiction vient donc écarter la date de réception comme point de départ du délai de prescription. En effet, cette dernière aurait pour effet de priver le constructeur du droit d’accès à un juge lorsqu’il est assigné en fin de délai d’épreuve.
Quel est l’intérêt de bénéficier de la suspension de la prescription prévue à l’article 2239 du Code civil dans le cadre des recours entre constructeur ?
Il convient de rappeler qu’en matière de forclusion décennale, et en application de l’article 2241 du Code civil[4], le délai peut être interrompu mais pas suspendu.
En particulier, l’assignation en référé-expertise interrompt ce délai jusqu’à ce que l’ordonnance désignant l’Expert soit rendue, soit pendant un bref laps de temps (1 mois généralement).
Les opérations d’expertise pouvant en revanche être particulièrement longues, la pratique était donc d’assigner au fond, à titre préventif, et de solliciter du Juge de la mise en état le sursis à statuer dans l’attente du dépôt du rapport d’expertise, qui interviendrait quelques années plus tard.
Ainsi, le délai était interrompu pour une durée plus longue et ce, jusqu’à ce que le jugement au fond soit rendu.
Toutefois, les recours entre constructeurs n’étant pas soumis à un délai de forclusion, mais à un délai de prescription, les constructeurs dans le cadre de leurs recours peuvent bénéficier à la fois des règles d’interruption de la prescription mais aussi de la suspension prévue à l’article 2239 du Code civil[5].
En application de cet article, le délai de prescription quinquennale est suspendu lorsqu’une ordonnance de référé désignant un Expert judiciaire est rendue et recommence à courir à la date du dépôt du rapport d’expertise judiciaire.
Ainsi, le délai d’action de 5 ans dont bénéficie le locateur d’ouvrage, et qui a commencé à courir à compter du jour de délivrance de l’assignation en référé-expertise sera suspendu pendant la toute la durée des opérations d’expertise judiciaire.
L’intérêt est qu’au stade de la réception d’une assignation aux fins de désignation d’un Expert judiciaire, un locateur d’ouvrage n’est pas en mesure de savoir si sa responsabilité sera in fine engagée et s’il a intérêt à attraire d’autres constructeur à la procédure afin de préserver ses recours.
Désormais, il pourra attendre les conclusions expertales avant d’assigner en garantie les autres constructeurs de l’opération. Nous partageons l’observation de notre Confrère, Cyrille Charbonneau, qui écrit :
« En cela, cette jurisprudence a vocation à être économe de procédures au fond préventives et pourrait conduire à diminuer les saisines des juges au fond avec demande de sursis à statuer dans l’attente du dépôt du rapport. »[6]
Article rédigé par Me Marie-Laure Bernasconi
[1] Article 1792-4-3 du Code civil : « En dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux. »
[2] Article 2224 du Code civil : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
[3] Cass. Civ.3e, 16 janv.2020, n°18-25.915, 18-21.895, 16-24.352
[4] Article 2241 du Code civil : « La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu’elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure. »
[5] Article 2239 du Code civil : « La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès. Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée. »
[6] « De l’interprétation stricte du champ d’application des articles 1792-4-2 et 1792-4-3 du Code civil », RDI mars 2020, Cyrille Charbonneau.