Dans un arrêt récent de la Cour de cassation du 14 mai 2020 (Civ. 3ème 14 mai 2020 n° 19-16.278 et 19-16.279) concernant la réfection d’un escalier extérieur, les juges ont affirmé le principe selon lequel « le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties, peu important qu’elle l’ait été en présence de celles-ci. ».
L’apport de cet arrêt soulève plusieurs observations et interrogations notamment sur l’opposition entre le rapport d’expert amiable et judiciaire, et sur leurs conditions de recevabilité à titre d’élément de preuve dans le cadre d’un contentieux.
Pourquoi est-il préférable d’obtenir un rapport d’expertise judiciaire ?
Afin de se constituer des preuves et de déterminer l’imputabilité des désordres, il est courant que les parties aient recours à des experts.
Ces expertises peuvent être « non judiciaires » ou « amiables » et sont, dans la majorité des cas, diligentées par l’assureur des parties concernées.
Il est également possible de faire réaliser une expertise en dehors du cadre assurantiel.
En effet, dans l’arrêt du 14 mai 2020, l’assurance de l’entreprise en cause avait diligenté une expertise qui avait conclu à une absence de désordres. Le demandeur a tout de même fait réaliser ultérieurement, par un professionnel de son choix, une nouvelle expertise qui, cette fois concluait à la nécessité d’effectuer des travaux de reprise.
A l’inverse, l’expertise judiciaire, outre le fait qu’elle est prononcée par un juge à la demande des parties, s’appuie sur le principe de la désignation d’un expert dit « indépendant ».
D’ailleurs, la Cour de cassation souligne l’importance du choix de l’expert en précisant « En statuant ainsi, le tribunal, qui s’est fondé exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties par un technicien de son choix, peu important que la partie adverse y ait été régulièrement appelée, a violé le texte susvisé. »
En effet, ces experts sont inscrits sur une liste établie par la Cour d’appel après examen approfondi de leur candidature.
Ce principe assure tant leur impartialité dans la conduite des opérations d’expertise et dans la rédaction de leur rapport que leur compétence selon le type de désordres.
En conséquence, la communication d’un rapport d’expert judiciaire aura inévitablement davantage d’impact sur la décision rendue par la juge dans la procédure en ouverture de rapport.
Un rapport d’expertise non judiciaire est-il susceptible d’être utilisé comme élément de preuve ?
La communication d’un rapport d’expertise non judiciaire comme élément de preuve est parfaitement recevable.
Cependant, comme le rappelle l’arrêt considéré, le juge ne peut se fonder « exclusivement » sur une expertise amiable.
Ce principe a été rappelé à plusieurs reprises par la jurisprudence (Civ. 2ème, 2 mars 2017 n°16-13.337 ; Civ 2ème 13 septembre 2018 n°17-20.099 ; et cela même dans l’hypothèse où l’ensemble des parties auraient été présentes lors de l’expertise et que le rapport aurait été débattu contradictoirement.
En effet, une décision qui se fonde exclusivement sur une expertise amiable viole le principe du contradictoire défini à l’article 16 du Code de procédure civil ainsi que le principe du procès équitable de l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme.
La partie qui communique un tel rapport doit également fournir d’autre éléments afin de corroborer les informations qu’il contient.
Ainsi, il est possible par exemple de communiquer, en complément d’un rapport amiable, un constat d’huissier, des attestations en complément de l’expertise.
Le rapport d’expertise judiciaire et le rapport d’expertise amiable bénéficient-ils d’un régime probatoire similaire ?
La recevabilité des rapports d’expertise judiciaire diffère de celle des rapports d’expertise amiables.
Lors de la phase des opérations d’expertise, le principe du contradictoire doit naturellement être respecté. Il s’agit avant tout de convoquer régulièrement l’ensemble des parties aux différentes réunions d’expertise, peu importe que ces dernières assistent effectivement aux opérations.
En revanche, en vertu de l’article 175 du Code de procédure civile, il est prévu que l’irrégularité affectant le déroulement des opérations d’expertise est régie par les règles de nullité des actes de procédure.
Ainsi, la sanction est la nullité du rapport d’expertise et non son inopposabilité (Chambre Mixte 28 septembre 2012 n°11-11.381).
En principe, la nullité du rapport ne pourra être prononcée que si la partie rapporte la preuve d’un grief, cependant la mise en œuvre d’une nullité pour vice de fond n’est pas conditionnée à la démonstration d’un préjudice.
Ainsi, dans les cas les plus flagrant de non-respect du contradictoire, il ne sera pas nécessaire de prouver l’existence d’un grief (Cass. 1 re civ., 1 er février 2012, n° 10-18.853).
Néanmoins, lorsque les opérations d’expertise se sont déroulées contradictoirement, le rapport d’expertise est opposable à l’ensemble des parties à la procédure en ouverture de rapport, même non appelée ou représentée lors de la procédure d’expertise judiciaire dès lors que le contenu clair et précis a été soumis à la libre discussion des parties (Ch. Mixte, 28 septembre 2012 n°11-11.381).
En effet, les juges peuvent fonder leur décision sur un rapport d’expertise judiciaire même si le défendeur n’a pas été partie aux opérations d’expertise à condition que le rapport soit régulièrement versé au débat et soumis à la discussion contradictoire.
Toutefois, le rapport d’expertise lorsqu’il n’a pas été réalisé en présence de toutes les parties, ne peut être l’unique moyen de preuve, et le juge appréciera ce moyen de preuve selon le même raisonnement que pour un rapport non judiciaire (Civ. 2ème 7 septembre 2017, 16-15.531).
Article rédigé par Me Justine Pouvesle et Marie-Laure Bernasconi
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