Le champ d’application de la garantie décennale

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Dans le prolongement de notre article consacré à la garantie de parfait achèvement, nous poursuivons la thématique autour des garanties légales en évoquant la garantie décennale et plus particulièrement son champ d’application.

La loi SPINETTA du 4 janvier 1978 a instauré un régime de responsabilité et d’assurances construction obligatoire spécifique pour les constructeurs. Ce régime comprend trois garanties d’ordre public, les garanties de parfait achèvement, biennale et décennale.

La loi est notamment venue imposer à tout constructeur, ou réputé constructeur, de souscrire une assurance de responsabilité décennale. Ces derniers doivent justifier de la souscription d’une telle police d’assurance sous peine de sanction pénale.

La garantie décennale instaure une présomption de responsabilité pesant sur le constructeur pendant 10 ans à compter de la réception des travaux.

Elle est prévue à l’article 1792 et suivants du Code civil qui dispose :

« Tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination.

Une telle responsabilité n’a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d’une cause étrangère. »

QU’EST-CE QU’UN OUVRAGE ?

L’ouvrage de construction est, selon Gérard Cornu, « un terme générique englobant non seulement les bâtiments mais tous les édifices et plus généralement toute espèce de construction, tout élément concourant à la constitution d’un édifice par opposition aux éléments d’équipement[1]. »

Un ouvrage de construction doit donc être de nature immobilière : il doit se rattacher au sol, au sous-sol ou à un autre immeuble.

QUELLE EST L’INCIDENCE DE LA RECEPTION DES TRAVAUX SUR LA MISE EN ŒUVRE DE LA GARANTIE DECENNALE ?

L’article 1792-4-1 du Code civil dispose :

« Toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 du présent code est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après dix à compter de la réception des travaux ou, en application de l’article 1792-3, à l’expiration du délai visé à cet article. »

La réception des travaux constitue le point de départ du délai de 10 ans de la garantie décennale.

Ainsi, la garantie décennale ne s’applique que si les travaux ont fait l’objet d’une réception (Cass. civ. 3e, 12 janvier 1982, n° 80-12.094, Bull. civ. III, n° 8).

QUELS DESORDRES RELEVENT DE LA GARANTIE DECENNALE ?

Les désordres sont de nature décennale lorsque, cachés à la réception, ils compromettent la solidité de l’ouvrage, le rendent impropre à sa destination ou, par extension, compromettent la propre solidité de l’un de ses éléments d’équipement indissociables.

  • Un désordre caché

Seuls les vices de construction qui ne sont pas visibles pour un non-professionnel de la construction au moment de la réception relèvent de la garantie décennale.

Néanmoins, un désordre réservé peut donner lieu à mise en jeu de la garantie décennale ou de la garantie de bon fonctionnement lorsqu’il s’est révélé, dans son ampleur et ses conséquences, postérieurement à la réception (Cass. 3e civ., 12 oct. 1994, n° 92-16.533 : JurisData n° 1994-001781 ; Bull. civ. 1994, III, n° 172).

  • Le critère de gravité : un désordre portant atteinte à la solidité de l’ouvrage ou le rendant impropre à sa destination

Un désordre portant atteinte à la solidité de l’ouvrage est un désordre d’une particulière gravité, atteignant la pérennité de la construction.

Un désordre rendant l’ouvrage impropre à sa destination empêche de tirer de l’ouvrage les utilités attendues.

La jurisprudence retient qu’un défaut de conformité n’entre pas, en l’absence de désordre, dans le champ d’application de l’article 1792 du Code civil (Cass. Civ 3e,20 nov.1991, 89-14.867, Publié au bulletin).

La gravité du dommage causé à l’ouvrage est une question de fait relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond.

  • Le dommage futur

Le dommage futur est celui qui ne présente pas le critère de gravité requis au moment de sa dénonciation mais dont on sait, de façon certaine, qu’il atteindra ce seuil dans le délai de 10 ans à compter de la réception.

Pour pouvoir être garanti au titre de la responsabilité décennale, le dommage doit avoir atteint la gravité requise par l’article 1792 du Code civil avant l’expiration du délai de dix ans (Civ 3e, 29 janvier 2003, n°01-13.034).

  • Le dommage évolutif

Le dommage évolutif est susceptible de relever de la garantie décennale à condition qu’il remplisse certaines conditions.

La jurisprudence a ainsi défini le désordre évolutif comme un désordre qui est « né après l’expiration du délai décennal, trouve son siège dans l’ouvrage où un désordre de même nature a été constaté présentant le caractère de gravité requis par l’article 1792 du code civil et ayant fait l’objet d’une demande en réparation en justice pendant le délai décennal. » (Cass. 3e civ. 4 oct. 2018, n°17-23.190)

Ainsi, le désordre évolutif constitue un dommage de nature décennale dès lors qu’il :

  • Se manifeste dans le délai de 10 ans qui suit la réception de l’ouvrage ( Civ 3e, 5 juillet 2018, n° 17-20.105),
  • Présente le critère de gravité requis par l’article 1792 du Code civil,
  • Est l’aggravation, la réapparition, la conséquence ou l’extension d’un désordre décennal dénoncé judiciairement dans le délai décennal.
  • Les travaux sur existants

Les travaux sur existants relèvent de la garantie décennale dès lors qu’il s’agit de :

  • Travaux de rénovation lourde (par exemple : la réhabilitation d’un immeuble avec modification de la structure ou des distributions intérieures),
  • Travaux avec apports d’éléments nouveaux (par exemple : des travaux de ravalement assurant l’étanchéité d’un immeuble).

Aussi, la garantie décennale peut trouver à s’appliquer lorsque l’adjonction d’un élément d’équipement sur un ouvrage existant constitue en elle-même un ouvrage de construction immobilière.

  • Les éléments d’équipement

L’article 525 du Code civil dispose : « un élément d’équipement est considéré comme formant indissociablement corps avec l’un des ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s’effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage. »

A contrario, un élément d’équipement dissociable est celui que l’on peut enlever, démonter ou remplacer sans détériorer l’ouvrage qu’il équipe. C’est le cas notamment de revêtements muraux, volets, moquettes, papiers peints …

Auparavant, les éléments dissociables installés sur des existants ne relevaient pas de la garantie décennale. Plusieurs arrêts rendus par la Cour de cassation en 2017 sont toutefois venus bouleverser la jurisprudence établie.

Désormais, « tous les dommages, de la gravité requise par l’article 1792 du Code civil, relèvent de la responsabilité décennale, qu’ils affectent les éléments d’équipement dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, dès lors qu’ils rendent l’ouvrage en son ensemble impropre à sa destination. » (Cass. Civ. 3e, 28 févr.2018, n°17-13.478 ; Civ. 3e, 14 sept. 2017, FS-P+B+R+I, n° 16-17.323 ; Cass. Civ.3e, 15 juin 2017, n°16-19.640 publié au Bulletin ; Cass Civ.3e, 26 oct.2017, n°16-18.120, publié au Bulletin).

Ainsi, les éléments d’équipements relèvent de la garantie décennale dans deux cas de figure :

  • Lorsqu’ils sont indissociables de l’ouvrage, de telle sorte que leur dépose, leur démontage ou leur remplacement emporte nécessairement une détérioration de celui-ci ;

Lorsque leur défaillance rend l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination (Cass. Civ.3e, 15 juin 2017, n°16-19.640 publié au Bulletin).

[1] Vocabulaire juridique, Gérard CORNU, Association Henri CAPITANT

Article rédigé par Me Marie-Laure Bernasconi et Alexia Schmitt

Recommandations du cabinet BJA :

Il faut savoir qu’en l’absence de réception, les garanties légales ne peuvent trouver application. Ainsi, si le maître d’ouvrage refuse de procéder à la réception des travaux, il ne pourra engager la responsabilité décennale du constructeur.

En l’absence de réception, le maître d’ouvrage n’aura d’autre choix que de tenter de rechercher la responsabilité contractuelle du constructeur et de démontrer que ce dernier a commis une faute tandis que la garantie décennale instaure une responsabilité de plein droit. Au surplus, cela l’enfermera dans un délai de 5 ans à compter de l’apparition des désordres alors que la garantie décennale a vocation à jouer pendant 10 ans à compter de la réception.

Il importe donc de réceptionner les travaux même si le maître d’ouvrage constate la présence de désordres.

Les désordres visibles devront faire l’objet de réserves dans le procès-verbal de réception afin d’être repris par le constructeur dans le cadre de la garantie de parfait achèvement. A défaut, le maître d’ouvrage est considéré comme ayant accepté le vice, se privant ainsi de toute action en responsabilité contre les entreprises.

Les désordres cachés, eux, seront couverts par la garantie décennale dès lors qu’ils présentent le critère de gravité requis par l’article 1792 du Code civil.

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