« Le permis d’expérimenter » ou les mesures constructives d’effet équivalent
L’article 49 de la loi n°2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance a autorisé le Gouvernement à prendre deux ordonnances afin de faciliter la réalisation de projets de construction et favoriser l’innovation.
La première, dite « Ordonnance ESSOC I » (Ordonnance n°2018-937 du 30 octobre 2018) a une vocation transitoire. Elle a instauré ce que l’on appelle désormais le « permis d’expérimenter » qui permet au maitre d’ouvrage de déroger à certaines règles de construction lorsqu’il démontre qu’il parvient à des résultats équivalents à ceux instaurés par la réglementation en vigueur en mettant d’autres moyens en œuvre et que ces moyens ont un caractère innovant d’un point de vue technique ou architectural.
Les dispositions de cette première ordonnance vont être abrogées lorsque la seconde ordonnance n° 2020-71 du 29 janvier 2020 dite « Ordonnance ESSOC II » entrera en vigueur, à une date fixée par décret en Conseil d’Etat, et au plus tard le 1er juillet 2021.
Cette seconde ordonnance se veut être durable puisqu’elle organise la réécriture des règles du Livre Ier de la partie législative du Code de la construction et de l’habitation afin d’apporter plus de cohérence et de clarté notamment en distinguant les règles de construction (titre III à VII nouveau : Règles générales de sécurité, Sécurité des personnes contre le risque d’incendie, Qualité sanitaire, Accessibilité, Performances énergétique et environnementale) des autres dispositions plus générales.
L’Ordonnance ESSOC II pérennise également le dispositif introduit par l’Ordonnance ESSOC I afin de donner au maître d’ouvrage une autorisation de plein droit pour mettre en œuvre des solutions techniques ou architecturales innovantes aux effets équivalents à des règles de construction qui seraient imposées au constructeur.
Quel est le régime applicable jusqu’à l’entrée en vigueur de l’ordonnance ESSOC II pour mettre en œuvre une solution alternative ?
- Le champ d’application
Les opérations concernées par une possible dérogation aux règles de construction de droit commun sont celles devant être précédées de la délivrance d’un permis de construire ou d’un permis d’aménager ou faisant l’objet d’une déclaration préalable, il peut également s’agir de la création, de l’aménagement ou de la modification d’un établissement recevant du public ou de travaux sur un immeuble classé au titre des monuments historiques (article 2 de l’ordonnance n°2018-937 du 30 octobre 2018).
Les règles de constructions visés par l’ordonnance ESSOC I et pouvant faire l’objet de dérogation sont celles portant sur :
« 1° La sécurité et la protection contre l’incendie, pour les bâtiments d’habitation et les établissements recevant des travailleurs, en ce qui concerne la résistance au feu et le désenfumage ;
2° L’aération ;
3° L’accessibilité du cadre bâti ;
4° La performance énergétique et environnementale et les caractéristiques énergétiques et environnementales ;
5° Les caractéristiques acoustiques ;
6° La construction à proximité de forêts ;
7° La protection contre les insectes xylophages ; »
8° La prévention du risque sismique ou cyclonique ;
9° Les matériaux et leur réemploi. » (article 3 de l’ordonnance n°2018-937 du 30 octobre 2018)
Pour chacun de ces domaines, un décret est venu préciser de façon plus exhaustive les règles de construction concernées (article 2 du décret n°2019-184 du 11 mars 2019).
Par exemple, il est possible en ce qui concerne le domaine de la sécurité et de la protection incendie de déroger aux règles relatives :
– « […] à la résistance au feu et au désenfumage des bâtiments d’habitation prises en application du troisième alinéa de l’article R. 111-13 du code de la construction et de l’habitation » ;
– « […] à la résistance au feu et au désenfumage des établissements destinés à recevoir des travailleurs tels que définis à l’article R. 4211-1 du code du travail prises en application des articles R. 4216-16 et R. 4216-29 de ce code ».
L’article 4 du décret énonce quant à lui les objectifs généraux à atteindre et sur lesquels l’équivalence est vérifiée.
Ainsi, toujours en ce qui concerne le domaine de la sécurité et de la protection incendie l’objectif général est le suivant : « […] les bâtiments d’habitation et les établissements destinés à recevoir des travailleurs sont conçus et construits pour que, lors d’un incendie, la stabilité des éléments porteurs de l’ouvrage puisse être assurée pendant une durée déterminée et suffisante pour permettre aux occupants de quitter indemnes le bâtiment. La conception du bâtiment et le désenfumage permettent de limiter l’éclosion, le développement et la propagation d’un incendie à l’intérieur de celui-ci ainsi que par l’extérieur et de faciliter l’intervention des secours ».
L’on précisera qu’il est possible de déroger à des règles de construction seulement lorsqu’elles s’entendent selon une logique d’obligation de moyens qui ne contraint pas à l’emploi d’une solution technique spécifique ce qui exclut toutes règles de construction écrites en termes de « performances ou résultats » (article 3 du décret n°2019-184).
- Obtention de l’attestation de solution d’effet équivalent
Avant le dépôt de la demande d’autorisation d’urbanisme, le maître d’ouvrage doit obtenir une attestation de solution d’effet équivalent délivrée par un organisme compétent (article 6 du décret n°2019-184 du 11 mars 2019).
A cet effet, le maître d’ouvrage doit déposer un dossier auprès de l’organisme compétent pour qu’il puisse instruire sa demande. La liste des pièces nécessaires est reprise à l’article 7 du décret, elle comprend notamment :
- Une description du projet de construction ;
- Une description des conditions de réalisation du projet ;
- Les pièces relatives au contrôle de la bonne mise en œuvre de la solution d’effet équivalent ;
- Ainsi que tout autre document que le maitre d’ouvrage estime nécessaire pour la bonne compréhension de la solution mise en œuvre
L’organisme produira ensuite un rapport d’analyse comparative et en cas de validation, il y joindra l’attestation d’effet équivalent.
- Contrôle de la solution d’effet équivalent
Le contrôle de la solution proposée s’effectue en trois temps :
- avant le dépôt de la demande d’autorisation avec l’attestation de solution d’effet équivalent à joindre au dossier de demande d’autorisation (article 4 de l’ordonnance n° 2018-937 du 30 octobre 2018) ;
- pendant les travauxun contrôleur technique agréé s’assure de la bonne mise en œuvre du procédé (article 6 de l’ordonnance n°2018-937 du 30 octobre 2018) ;
- à la fin des travaux le contrôleur technique remet une attestation de bonne mise en œuvre (article 6 de l’ordonnance n°2018-937 du 30 octobre 2018).
Ces étapes définies aux termes de l’ordonnance ESSOC I sont reprises dans l’ordonnance ESSOC II et codifiées pour rendre le dispositif permanent.
Comment le permis d’expérimenter est traduit dans le nouveau Code de la construction et de l’habitation ?
- Objectifs généraux et résultats minimaux
L’ordonnance ESSOC II qui réécrit le Livre 1er du Code de la construction et de l’habitation prévoit un système qui reprend les principes prévus dans la cadre de l’ordonnance ESSOC I en y ajoutant des conditions cumulatives.
Ainsi, le principe est toujours celui du respect de l’objectif général, cependant lorsque des résultats minimaux sont fixés, le respect de l’objectif général est justifié par la preuve, établie par les modalités propres au champ technique considéré, que ces résultats minimaux sont atteints (L.112-4 nouveau du CCH).
Dans l’hypothèse où des résultats minimaux ne sont pas fixés par voie réglementaire, le maître d’ouvrage peut en vertu de l’article L.112-4 nouveau du CCH déroger aux règles de construction en ayant recours soit à une solution de référence, soit à une solution d’effet équivalent.
Des décrets d’application doivent être pris pour permettre la mise en œuvre de ce dispositif et ainsi réécrire la partie réglementaire du Code, mais il est vraisemblable que le système soit similaire à celui prévu par l’Ordonnance ESSOC I et son décret d’application.
L’article L.111-1 nouveau du CCH énonce un certain nombre de définitions utiles à la compréhension de ce nouveau mécanisme.
Un objectif général est ainsi défini comme : « un objectif assigné au maître d’ouvrage par le législateur dans un champ technique au sens du présent article, précisé le cas échéant par les résultats minimaux à atteindre »
Un résultat minimal est selon l’article L.111-1 nouveau du CCH, « le niveau qui doit être au moins atteint par le bâtiment ou un des éléments qui le constitue pour respecter un objectif général dans un champ technique de la construction au sens du présent article. Ce niveau est le plus souvent exprimé de façon quantifiée et peut prendre différentes formes telles celle d’un indice, d’une performance, d’un seuil ».
Lorsque le maître d’ouvrage veut déroger à une règle de construction, il doit donc s’interroger sur la finalité de cette règle et respecter les principes généraux fixés aux titres III à VII tout en vérifiant qu’il n’existe pas de règle quantifiée.
La réécriture du Code permet au sein de chacun des titres IV à VII, une identification claire de ces « objectifs généraux » que le maître d’ouvrage doit respecter dans les différents champs techniques.
Par exemple, en matière de sécurité des personnes contre les risques d’incendies (Titre IV), il existe désormais un chapitre Ier « Objectifs généraux de sécurité contre les risques d’incendie » qui prévoit en son article L.141-1 :
« Les bâtiments sont implantés, conçus, construits, exploités et entretenus dans l’objectif d’assurer la sécurité des personnes :
1° En contribuant à éviter l’éclosion d’un incendie ;
2° En cas d’incendie, en permettant de limiter son développement, sa propagation, ses effets sur les personnes et en facilitant l’intervention des secours ».
Il conviendra pour le maître d’ouvrage en vertu de l’article L.141-3 nouveau du CCH de justifier du respect de cet objectif général par des études d’ingénierie de sécurité incendie « qui établissent que les exigences fonctionnelles définies par voie réglementaire sont satisfaites ».
D’autres objectifs généraux sont définis par exemple en matière de qualité sanitaire des bâtiments (article L.151-1 du CCH) : « Les bâtiments sont conçus, construits, équipés et aménagés ou rénovés de manière à ne pas porter atteinte à la santé des personnes qui y sont présentes dans des conditions normales d’occupation et d’usage de ces bâtiments et le cas échéant, compte tenu de l’environnement dans lequel il se situent. ».
Des solutions d’effet équivalent peuvent également être proposées lors d’expertise judiciaires dans le cadre de la mission de l’expert et afin de répondre à des problématiques inextricables si l’on respecte strictement la règlementation en vigueur.
Ainsi, dans le cadre d’un dossier traité par le cabinet l’application stricte de la réglementation incendie interdisait la possibilité d’ouvrir des fenêtres de studios aménagés.
Cependant, cette norme se heurtait à une autre réglementation, celle du règlement sanitaire de la Ville de Paris qui précisait des normes minimales d’aération.
Ainsi, l’expert a dû étudier une solution permettant une ouverture normale des fenêtres sans diminuer le niveau de sécurité contre l’incendie.
Des études ont été réalisées afin de vérifier qu’un système de type sprinkler résidentiel pouvait répondre au problème posé et cette solution va être étudiée par le Mandataire de sécurité qui est l’interlocuteur unique avec l’administration et éventuellement validé dans le cadre d’une demande d’autorisation de travaux.
- Attestation de solution d’effet équivalent
L’article L.112-9 nouveau du CCH reprend le principe de l’attestation de solution d’effet équivalent délivré par un organisme tiers « offrant des garanties de compétence et d’indépendance ».
Cet organisme doit être titulaire d’une assurance de responsabilité civile dans l’hypothèse où sa responsabilité serait recherchée en raison d’un sinistre lié à la mise en place de la solution d’effet équivalent sans pour autant être considéré comme un constructeur.
Cette attestation devra en outre être transmise au Ministre chargé de la construction avant le dépôt de la demande d’autorisation d’urbanisme.
A l’achèvement des travaux, un contrôleur technique établira une attestation de bonne mise en œuvre qui sera également transmise, avec l’attestation de respect des objectifs de l’article L.112-9 nouveau du CCH, au ministre chargé de la construction.
- Sanction du respect de la procédure mise en œuvre
L’ordonnance ESSOC II confie aux services chargés du contrôle du respect des règles de construction un pouvoir de police administrative afin de contrôler et sanctionner le respect de la procédure de mise en œuvre des solutions d’effet équivalent.
Ainsi, si lors d’un contrôle un manquement est constaté, l’agent chargé du contrôle fait un rapport à l’autorité administrative compétente qui met le maître d’ouvrage en demeure de satisfaire aux obligations méconnues dans un délai maximum d’un an (article L.182-1 et -2 nouveau du CCH). A défaut d’action par le maître d’ouvrage, une amende et une astreinte journalière peuvent être prononcées.
- Entrée en vigueur
L’article 8 de l’ordonnance prévoit que l’ordonnance ESSOC I sera abrogée lors de l’entrée en vigueur de l’ordonnance ESSOC II qui est prévu au plus tard pour le 1er juillet 2021.
Cependant, il faut noter que l’ordonnance du 30 octobre 2018 restera applicable « aux opérations de construction ou de rénovation de bâtiments pour lesquelles une attestation de solution d’effet équivalent a été délivrée dans les conditions prévues par son article 5 avant la date d’entrée en vigueur de la présente ordonnance ».
Recommandations du cabinet BJA :
Il est essentiel pour le maître d’ouvrage ou le constructeur de savoir qu’il peut dans certaines situations recourir à des mesures d’effet équivalent afin d’optimiser l’efficacité de son projet en se détachant de la règlementation en vigueur et ainsi éviter des situations de blocage.
Dans la constitution de son dossier, le maître d’ouvrage doit néanmoins être prudent et s’entourer de professionnels qualifiés pour la mise en œuvre des aspects purement techniques mais également juridiques.
A ce titre, le cabinet BJA, fort de son expertise dans le domaine du droit de la construction, propose un accompagnement aux maîtres d’ouvrage désireux d’innover en analysant l’évolution de la législation et ses applications pratiques.