Si en droit des sociétés la fusion-absorption est omniprésente, cette opération n’est pas des plus commune en droit de la copropriété.
Sa présence se révèle cependant à travers la problématique du contrat de Syndic, mandat de nature particulière liant le Syndicat des copropriétaires à leur représentant.
Cet article abordera la question de l’impact de la fusion-absorption sur le mandat de Syndic de la société absorbée à l’aube de la loi du 10 juillet 1965 et de la jurisprudence en la matière.
1.La contradiction qui subsiste entre les dispositions du code de commerce et celles du code de la copropriété
Qu’est-ce que la fusion absorption ?
La fusion absorption est expressément réglementée par les dispositions du code de commerce. A ce titre l’article L236-1 du code de commerce dispose que :
« Une ou plusieurs sociétés peuvent, par voie de fusion, transmettre leur patrimoine à une société existante ou à une nouvelle société qu’elles constituent »
Autrement dit, l’ensemble des éléments passifs et actifs de la société absorbée est transmis à la société absorbante de sorte que les deux sociétés sont fondues pour ne former qu’une seule entité juridique.
Quelles sont les conséquences d’une fusion absorption pour la société absorbée ?
L’article L236-3 du code de commerce prévoit que :
« La fusion ou la scission entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires, dans l’état où il se trouve à la date de réalisation définitive de l’opération. »
Si on en croit ces dispositions du code de commerce, et qu’on les transposent en droit de la copropriété, la logique aurait donc voulu que la société absorbante hérite également du contrat de Syndic et peut donc exercer cette activité en lieu et place de la société absorbée.
Cependant les règles spécifiques imposées par la loi du 10 juillet 1965 font obstacle à cette transmission universelle de patrimoine.
L’obstacle de la loi du 10 juillet 1985
L’article 18 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965 dispose que le Syndic est « seul responsable de sa gestion » et qu’en conséquence il ne peut se faire substituer sans un vote de l’assemblée générale.
Par ailleurs, l’article 25 de ladite loi précise que la désignation du Syndic ne peut être adoptée qu’à la majorité des voix de tous les copropriétaires.
En conséquence, il résulte des dispositions précitées que le contrat de Syndic doit être approuvé par une décision expresse de l’assemblée générale ce qui exclut toute possibilité de mandat tacite.
Ainsi le mandat de Syndic est opposable à la collectivité des copropriétaires seulement si un vote majoritaire et exprès de ces derniers est intervenu.
La substitution de Syndic dans le cadre d’une fusion absorption emporterait donc un affront à ce principe essentiel du droit de la copropriété : l’assemblée générale des copropriétaires est maître, le Syndic n’est qu’un exécutant.
Le Syndic ne saurait donc imposer un nouveau représentant du Syndicat des copropriétaires et ne saurait lui transmettre de sa seule initiative le titre qu’il tient de l’assemblée.
Cette loi emporte donc prohibition de la substitution systématique et automatique du Syndic par l’effet de l’opération de fusion-absorption et permet indiscutablement d’assurer un système sécuritaire pour les droits des copropriétaires.
2.Le mandat de Syndic : un contrat conclu intuitu personae
Outre cet obstacle légal, c’est le caractère intuitu personae du contrat de Syndic qui s’oppose à une transmission directe à la société absorbante.
Il est de jurisprudence constante que le transfert de plein droit ne peut s’opérer dans le cas d’un contrat pour lequel la considération de la personne est l’élément essentiel du consentement des parties audit contrat.
Or, le Syndic administre la copropriété et doit à ce titre présenter certaines garanties au Syndicat des copropriétaires puisque c’est lui qui opère notamment la gestion comptable et financière de l’immeuble.
La confiance entre le Syndic et l’ensemble des copropriétaires est donc un marqueur intrinsèque au contrat de Syndic.
Dès lors, et sur la base de la loi du 10 juillet 1965, la jurisprudence a acté à plusieurs reprises ce caractère purement personnel du contrat de Syndic, interdisant de fait la transmission du contrat de Syndic à la société absorbante.
3.L’établissement par la jurisprudence du principe de l’absence de transmission du mandat de Syndic
La jurisprudence s’est attelée à rappeler de façon constante que le respect des prérogatives de l’assemblée générale ainsi que l’interdiction pour le syndic de se faire substituer conduisent
à exiger une décision préalable sur la désignation d’un nouveau syndic en cas de fusion-absorption.
Ainsi et dans un premier arrêt en date du 10 novembre 1998, la Cour de Cassation a rappelé qu’en cas de fusion absorption, la juridiction saisie devait rechercher si la société absorbante avait qualité et pouvoir pour représenter légalement en justice le syndicat des copropriétaires. [1]
En conséquence, la Cour de Cassation a posé pour la première fois le principe selon lequel la fusion-absorption n’entraîne pas de plein droit transmission du mandat de Syndic à la société absorbante qui doit obtenir un vote exprès de l’assemblée générale qui la désigne en qualité de Syndic de la copropriété.
Ce principe a été de nouveau affirmé en 2021 dans un arrêt aux termes duquel la Cour de Cassation a rappelé qu’il est nécessaire de solliciter le vote de l’assemblée générale afin que la société absorbante soit désignée en qualité de Syndic :
« En statuant ainsi, alors que la loi du 10 juillet 1965 excluant toute substitution du syndic sans un vote de l’assemblée générale des copropriétaires, ne permet pas à une société titulaire d’un mandat de syndic de dessaisir les copropriétaires de leur pouvoir exclusif de désignation du syndic par le moyen d’une opération de fusion-absorption ayant pour résultat, après disparation de sa personnalité morale, de lui substituer la société absorbante, personne morale distincte, la cour d’appel a violé les textes susvisés » [2]
[1] Cour de Cassation, 3ème chambre civile, 10 novembre 1998, n°97-12.369
[2] Cour de Cassation, 3ème chambre civile, 28 janvier 2021, n°19-22.714