En présence de réserves, la livraison d’un appartement peut cristalliser les rapports acquéreurs-promoteur, et rimer avec « consignation » des fameux 5% restants exigibles à la livraison de l’immeuble.
En effet, 95% du prix peut être perçu à l’achèvement de l’immeuble, et dans le cadre d’une vente en état futur d’achèvement intervenant en secteur protégé, le versement du solde est encadré par les dispositions de l’article R.261-14 du Code de la construction et de l’habitation selon lequel, « le solde du prix de vente de 5% est payable lors de la mise du local à la disposition de l’acquéreur. Toutefois, il peut être consigné en cas de contestation sur la conformité avec les précisions du contrat ».
Elle ne nécessite pas que l’existence des défauts de conformité ait été établie préalablement et approuvée par le vendeur.
Cependant, la non-conformité n’est pas le seul motif valable : les désordres et malfaçons même mineurs affectant l’ouvrage constituent également des motifs suffisants pour consigner (Cass., 3ème Civ, 6 déc. 1972).
Cette interprétation de l’article R.261-14 du Code précité encouragée par la doctrine a ensuite été reprise et consacrée par la jurisprudence afin d’éviter que les travaux de finition de l’ouvrage soient négligés.
Cette faculté permet d’équilibrer les intérêts en présence, en contraignant le vendeur de l’immeuble à veiller à ce que l’ouvrage soit conforme à 100%. A cet égard, le vendeur est débiteur de la garantie de parfait achèvement qui couvre les défauts apparents, d’une durée totale de 13 mois à compter de la livraison (article 1642-1 du Code civil).
L’article 1642-1 précité n’impose pas un relevé contradictoire des réserves puisqu’il permet à l’acquéreur de dénoncer les vices dans le délai d’un mois après la prise de possession des lieux.
La faculté de consignation est considérée comme étant ouverte à l’acquéreur quelle que soit la nature des réserves qu’il exprime lors de livraison et dans le mois suivant la prise de possession (article 1641-1 du code civil).
C’est la raison pour laquelle toute clause subordonnant « la remise des clés au paiement intégral du prix » faisant obstacle au droit de l’acquéreur de consigner les sommes restantes lorsque des réserves sont faites à la réception est interdite et constitutive d’un délit correctionnel en application des dispositions de l’article L.263-1 du Code de la construction et de l’habitation.
La faculté de consigner reste toutefois limitée au secteur protégé et dûment encadrée. Elle produit des effets souvent méconnus de nombreux promoteurs qui ont une fâcheuse tendance à stigmatiser les acquéreurs qui ne règlent pas le solde du prix de vente et à leur refuser la remise des clés.
BJA vous apporte toutes les précisions quant aux conditions de mise en œuvre de cette faculté réservée à l’acquéreur ayant acquis un bien en secteur protégé, et vous rappelle les points de vigilance à conserver à l’esprit afin de préparer sereinement la livraison et la levée des réserves.
1°) Que recouvre la notion de consignation ?
Tout d’abord, la consignation désigne « le dépôt réel de l’objet dû dans un lieu désigné par la loi ou par le juge où il est conservé et mis à disposition du créancier ».
Il s’agit d’un acte, et non d’un contrat, ce qui laisse donc penser que certains dépôts peuvent avoir une nature extracontractuelle. C’est le cas de la consignation qui n’a, par définition, aucun caractère contentieux et peut intervenir en dehors de l’accord du cocontractant.
Il ne s’agit pas d’un dépôt décidé par le juge mais d’un acte volontaire.
Elle ne se confond donc pas avec le séquestre qui peut être de nature conventionnel ou judiciaire.
Elle est pratiquée pour garantir la créance du vendeur de l’immeuble.
2°) Dans quels cas l’acquéreur peut-il consigner le solde du prix de vente ?
Il est tentant de considérer que le refus de s’acquitter des 5% restants doit être dûment motivé par des défauts de conformité ayant un caractère substantiel, ou de graves malfaçons rendant l’ouvrage impropre à sa destination.
Il n’en est rien : nul besoin pour l’acquéreur de constituer un solide dossier pour suspendre le paiement du dernier appel de fonds.
La consignation du solde du prix de vente est offerte même en cas de défauts de conformité, malfaçons ou désordres non substantiels, même en cas de réserve unique (Cass., 3ème Civ., 6 déc. 1972), et quand bien même le vendeur de l’immeuble ne les aurait pas acceptés.
La simple offre de consigner autorise l’acquéreur à suspendre le paiement du prix (Cass., 3ème Civ, 20 février 1979), qu’elle soit faite le jour de la livraison, ou plusieurs mois suivant celle-ci.
En revanche, si la fraction du prix exigible dépasse les 5%, l’acquéreur devra, pour se prévaloir de l’exception d’inexécution, démontrer que les défauts invoqués sont substantiels et sont de nature à
faire obstacle à l’achèvement de l’immeuble au sens de l’article R.261-1 du Code de la construction et de l’habitation (Cass., 3ème Civ., 8 juillet 1998, n°96-22.695).
Dans un pareil cas, le vendeur de l’immeuble ne peut refuser la consignation du prix au motif que les fonds sont nécessaires à la continuation des travaux, dès lors qu’il existe une garantie financière d’achèvement.
Il est aujourd’hui établi que la consignation vaut paiement (Cass. 3ème Civ, 16 déc. 2010, n°09-67.232, FS-P+B) et autorise l’acquéreur à se faire remettre les clés nonobstant le non-paiement du solde du prix de vente et enfin qu’elle permet de faire échec à la clause résolutoire de plein droit inscrit à l’acte de vente (Cass., 3ème Civ., 6 mai 2015, n°14-13032).
En cas de consignation, le promoteur ne peut donc faire délivrer un commandement visant la clause résolutoire.
Cela étant, l’acquéreur assume les risques si les juges considèrent que la consignation a été abusive, ou est invoquée de mauvaise foi.
Si le vendeur de l’immeuble refuse de fixer le jour de la livraison, ou même de remettre les clés à l’acquéreur pour ce motif, une telle attitude peut sembler périlleuse car ce faisant, il exige un paiement anticipé.
Le vendeur devra s’abstenir d’exiger de l’acquéreur dans son courrier le convoquant à la livraison de son logement, le paiement du solde du prix de vente, sous peine de commettre l’infraction prévue à l’article L.263-1 du Code de la construction et de l’habitation.
Il ne pourra pas davantage tenter d’obtenir devant le juge des référés la réduction de la consignation effectuée à de plus justes proportions, dans la mesure où il ne lui appartient pas de se prononcer sur le montant des travaux nécessaires pour remédier aux non-conformités alléguées (CA Lyon, 1ère Ch. civile B, 29 Janvier 2013, n° 12/04282).
De même, il demeure peu prudent pour le vendeur d’immeuble de refuser de remettre les clés si l’acquéreur n’annonce aucune consignation, dès lors que ce dernier pourra toujours prétendre que cette intention n’a pas été consignée dans le procès-verbal de livraison.
Dans cette hypothèse, le vendeur de l’immeuble s’expose à être condamné par le juge des référés à livrer le bien sous astreinte, dès que la justification de la consignation par l’acquéreur est intervenue.
En outre, l’absence de remise des clés ayant nécessairement une incidence sur le délai de livraison, l’acquéreur pourra faire valoir une indemnisation pour retard de livraison.
Si l’acquéreur n’annonce pas cette consignation lors du rendez-vous de livraison, le promoteur pourrait en théorie refuser de lui remettre les clés.
En ne remettant pas les clés, le promoteur se prive cependant de la possibilité de solliciter en référé le paiement provisionnel du solde du prix de vente.
3°) Quel est l’objet de la consignation ?
La consignation revêt un caractère temporaire et n’a que pour objet d’inciter le vendeur à reprendre les non-conformités et malfaçons dénoncées.
Elle n’a de raison d’être que le temps de la contestation. En effet, elle vise à éviter que le vendeur refuse la remise des clés pour faire pression sur l’acquéreur et obtenir paiement du solde du prix.
La consignation est liée au sort de la contestation sur la conformité de l’immeuble (CA Aix en Provence, SNC MARINA CONSTRUCTION c/ Gilles GAUTHIER, 6 oct. 2005, n°04/15198, JurisData n°2005-293982).
Elle ne peut en aucun cas être utilisée pour compenser des retards de livraison du bien (Cass., 3ème Civ., 13 février 1985).
Sa mise en œuvre n’est pas légitime si l’acquéreur tente de se prévaloir d’un défaut d’achèvement de l’immeuble non avéré.
4°) Auprès de qui peut-on consigner ?
L’article L.261-14 du Code de la construction et de l’habitation ne précise pas les modalités de consignation.
Cependant, la consignation peut intervenir sans décision judiciaire préalable ou être sollicitée devant le juge des référés, afin d’organiser les modalités de libération des fonds au profit du vendeur.
En l’absence d’accord des parties sur les modalités de la consignation entre les mains du notaire de l’acquéreur, elle peut intervenir à la seule initiative de l’acquéreur entre les mains de la Caisse des dépôts et consignations sur un compte ouvert à cet effet, laquelle est habilitée pour recevoir la consignation du prix en matière de VEFA.
A cet égard, la consignation est une mission d’intérêt général de la Caisse des dépôts et consignations, qui consiste à recevoir les fonds, les conserver et les restituer aux personnes bénéficiaires. La gestion de ces fonds est gratuite.
Il s’agira d’un simple dépôt s’il est fait en dehors du formalisme prévu par les textes et non pas d’un séquestre. En effet, à la différence du dépôt, le séquestre ne vaut pas paiement (Cass., 3ème Civ., 6 janvier 1999, n°96-19.460).
Etant précisé que cet organisme accepte le versement des fonds sans qu’il soit justifié un quelconque accord des parties ou encore la production d’une décision de justice.
En revanche, en cas de dépôt auprès de cet organisme, les modalités de restitution devront être précisées : l’acquéreur doit préciser que la déconsignation aura lieu en cas d’accord des parties (éventuellement matérialisé par un protocole d’accord sous seing privé) ou encore sur décision de justice rendue définitive.
En cas d’accord des parties, la consignation peut avoir lieu entre les mains du notaire ayant reçu la vente.
Les parties peuvent également décider d’un commun accord que les fonds seront consignés auprès du Bâtonnier de l’Ordre des avocats.
5°) Quelles sont les conditions de la déconsignation ?
La consignation, par essence provisoire, cesse de produire ses effets dès lors que le vendeur de l’immeuble à remédier aux défauts et non-conformités affectant l’ouvrage et qu’il lui en est donné quitus.
La libération des fonds intervient en pratique avec l’accord de l’acquéreur, dès lors que le bien livré est exempt des défauts ayant motivé la consignation.
Cette autorisation de l’acquéreur conditionnant dans les faits la libération des fonds ne devrait pourtant pas être requise.
En effet, le tiers détenteur des fonds devrait pouvoir libérer à première demande les fonds auprès du vendeur d’immeuble.
En définitive, il sera plus aisé pour le vendeur de solliciter la restitution auprès du tiers entre les mains duquel les fonds ont été consignés, si la consignation a été ordonnée judiciairement et les modalités de libération fixées par le juge.
6°) En cas d’absence de consignation, quels sont les délais de réclamation du solde du prix de vente ?
A défaut de paiement et de consignation, le vendeur de l’immeuble pourra faire délivrer par voie d’huissier un commandement de payer rappelant la clause résolutoire inscrite à l’acte et appliquer les pénalités de retard inscrites à l’acte, du fait du retard de paiement ou dans les versements.
Cette pénalité ne pourra dépasser 1% par mois, conformément à l’article L.261-14 du code de la construction et de l’habitation.
L’acquéreur devra former opposition à commandement dans le délai d’un mois (art. L.261-13 du Code de la construction et de l’habitation), et consigner le solde dans ce délai s’il veut stopper le jeu de la clause résolutoire et suspendre ainsi les effets de cette dernière (Cass., 3ème Civ, 20 février 1979).
Il convient de conserver à l’esprit que l’acquéreur bénéficie « automatiquement », sans qu’il ait à effectuer de démarche particulière, de la levée des réserves consignées dans le procès-verbal de livraison pendant 13 mois à compter de cette date (combinaison des articles 1642-1 et 1648 al. 2).
Le délai de garantie de parfait achèvement étant sanctionné par la forclusion, l’acquéreur pourra, à notre sens, difficilement se prévaloir de l’absence de levée des réserves restantes pour tenter de s’opposer au paiement du solde du prix de vente.
Si la retenue de garantie de 5% prévue dans la réglementation des CCMI (article R.231-7 du Code de construction et de l’habitation) peut rester définitivement acquise au maître d’ouvrage, un tel mécanisme n’existe pas en matière de VEFA et la jurisprudence n’a, à notre connaissance, pas encore statué sur les risques d’acquisition définitive de la consignation entre les mains de l’acquéreur en matière de VEFA.
Des délais sont également applicables et opposables au vendeur de l’immeuble en matière de paiement du prix.
Le vendeur de l’immeuble doit veiller à ne pas laisser son action se prescrire par l’écoulement du temps, ou des discussions qui pourraient avoir lieu avec l’acquéreur.
En effet, lorsque l’acquéreur est un accédant personne physique agissant à des fins non professionnelles, l’action en paiement du vendeur d’immeuble en l’état futur d’achèvement est soumise à la prescription de 2 ans, prévue à l’article L.218-2 du code de la consommation (Civ. 3ème, 26 oct. 2017, n°16-13.591), à défaut de consignation du solde du prix de vente.
Selon la jurisprudence, ce délai commencerait à courir à compter de la livraison du bien.