Les grandes copropriétés en question

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Les grandes copropriétés, dont certaines sont parfois l’équivalent de villes sont confrontées à de nouveaux défis liés en particulier aux obligations de rénovation énergétique et à la maitrise des charges dans un contexte d’inflation sans précèdent du coût des énergies et des matériaux.

En l’absence de critères légaux et de régime propre pour les grandes copropriétés dont le gigantisme n’a pas été appréhendé par la loi du 10 juillet 1965 (I), une réflexion et un état des lieux des dispositifs légaux disponibles et de leurs évolutions s’imposent (II) afin de faciliter la gouvernance (III) de ces ensembles confrontés aux nouveaux défis en « avant-première » (IV)

1. Quel est le critère d’élection d’une grande copropriété selon la loi et l’association USGC ?

D’abord, on rappellera que loi du 10 juillet 1965 est muette sur le régime des grandes copropriétés.

Son article premier, prévoit un statut unique à partir du moment un immeuble bâti ou groupe d’immeubles bâtis, a sa propriété répartie par lots entre plusieurs personnes.

Le lot comporte, une partie privative et une quote-part de parties communes, lesquelles sont indissociables.

Cette absence de prise en compte de la spécificité des grandes copropriétés est apparue problématique, et ce dès les débats préparatoires[1] de la loi du 10 juillet 1965 au sujet de la « création de vaste ensembles immobiliers devenus souvent de véritables cités satellites des grandes villes françaises ».

Certaines promotions ont créé des « grands » voire des « très grands ensembles », présentant des équipements complexes, avec des besoins croissants de services, de logistique, d’informatiques à destination de publics variés (des personnes âgées, commerçants, locataires, usagers de crèches, de parking …).

Une des difficultés liées au grand nombre de copropriétaires est notamment celui de l’absentéisme et du désintérêt de la multitude. Seuls certains copropriétaires s’investissent.

Il convient d’abord d’établir des critères d’identification d’une grande copropriété pour voir si un régime particulier doit leur être appliqué : le nombre de lot, le budget, la destination de l’immeuble, la taille de l’immeuble…

La loi du 23 novembre 2018 avait prévu de réformer la copropriété en fonction de certains de ces critères :

«1° Redéfinir le champ d’application et adapter les dispositions de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis au regard des caractéristiques des immeubles, de leur destination et de la taille de la copropriété 

2° Clarifier, moderniser, simplifier et adapter les règles d’organisation et de gouvernance de la copropriété »

L’ordonnance du 30 octobre 2019 s’est cependant uniquement intéressée aux « petites copropriétés » et au copropriété à deux.

Les critères pour ces « petites copropriétés »[2] sont le nombre de lots et le budget. Un tel régime permet d’obtenir des dérogations telles que l’absence de constitution de conseil syndical, la non-tenue d’une comptabilité en partie double, la prise de décisions par consultation écrite.

L’élection de ces critères comportant des seuils ne rend pas nécessairement compte des difficultés.

Pour les grandes copropriétés, le projet de réforme de la copropriété du GRECCO avait prévu une disposition, inspiré du droit canadien qui avait été l’objet d’une grande controverse : prévoir un conseil d’administration pour les grandes copropriétés à la façon des entreprises.

Ce régime devait concerner les copropriétés comportant plus de 100 lots principaux, le conseil syndical devenant alors conseil d’administration doté de pouvoirs élargis sur le syndic et l’assemblée générales des copropriétaires.

Le professeur HUGUES PERINET-MARQUET avait indiqué[3] :

« Mais l’entourage sociologique de la loi n’est plus, en 2017, celui de 1965. Se sont développées de très grandes copropriétés dont la gestion s’avère difficile. Ont également proliféré des copropriétés ne rassemblant aucun lot d’habitation, voire composées exclusivement de personnes morales. L’unité du système de gestion, voulue en 1965, et d’ailleurs sérieusement écornée par la loi ALUR, n’avait donc plus lieu d’être maintenue.

Nous avons donc fait le choix de permettre la prise des décisions les moins graves, celles de l’actuel article 24, par un Conseil d’administration. Ce terme, emprunté au droit des sociétés peut choquer. Il aurait été très simple de donner les mêmes pouvoirs au conseil syndical en imaginant une transformation de son rôle. Mais alors, ce dernier serait devenu un « conseil syndical d’administration.

Nous avons donc préféré la clarté du concept pour que ses conséquences soient bien perçues. Le législateur pourra toujours retenir l’idée en oubliant le terme choisi, volontairement provocateur. »

Ce régime des grandes copropriétés n’a pas été retenu : peut-être en raison d’un mauvais choix sémantique.

En effet, selon Monsieur Jacques LAPORTE[4] :

« Il est certain qu’à partir d’un nombre important de participants à une assemblée générale, les questions débattues sont mêlées de considérations accessoires qui polluent les décisions en prolongeant les débats, ce qui conduit à l’idée de les faire prendre par le conseil syndical qui s’appelle alors conseil d’administration, terme peut être malheureux qui tend à assimiler la copropriété à la société, alors que ces deux termes traduisent deux conceptions opposées de la copropriété »

En attendant, à défaut de régime spécifique pour ces grands ensembles, l’existence de l’USGC est particulièrement nécessaire pour être le laboratoire d’idées et de partage permettant de favoriser la gestion de ces copropriétés.

Cette association a également choisi le nombre de lots principaux comme critère.

Pour rappel l’union originelle était composée des copropriétés de Parly 2 au Chesnay-Rocquencourt (7.500 lots), du Parc Montaigne à Fontenay le Fleury (1.100 lots), d’Elysée 2 à la Celle St Cloud (1.500 lots), du Parc Central des Grandes Terres à Marly le Roi (1.500 lots) et du Parc de Montmorency à Paris 16ème (750 lots).

Le critère de « 1.000 lots principaux », a ensuite été réduit à « 100 lots principaux et plus ».

2. Quelle sont les dispositifs légaux permettant de favoriser la gestion de ces ensembles ?

Les grandes copropriétés peuvent être verticales : il s’agira parfois d’immeuble de grandes hauteurs soumises à des règlementations spécifiques destinées à la mise en œuvre progressives des principes de sécurité-incendie notamment pour faciliter l’évacuation, empêcher le passage de fumée, contrôles réguliers des équipements spécifiques (articles R.122-1 et suivants du CCH et l’arrêté du 30 décembre 2011, le décret n°2019-461 du 16 mai 2019 d’application de l’article 30 de la loi ELAN)

Les grandes copropriétés peuvent être également horizontales : il convient de les distinguer des zones pavillonnaires organisées par voie de lotissement[5] présentant une division au sol alors que la copropriété se fait sur une parcelle cadastrale unique. (Articles L442-1 et suivants du Code de l’urbanisme)

Certaines grandes copropriétés souhaiteront échapper au statut protecteur et rigide de la loi du 10 juillet 1965 modifié par l’ordonnance du 30 octobre 2019.

Afin de sortir du statut de la copropriété, pour les immeubles dits tertiaires « qui ne sont pas d’habitation » ou pour les ensembles immobiliers comportant notamment des volumes[6], la règle de l’unanimité s’impose.

En revanche, il est permis de déroger au statut de la copropriété via une convention mettant en place une organisation dotée de la personnalité morale suffisamment structurée pour assurer la gestion de ces ensembles (Article 1 de la loi du 10 juillet 1965).

Dans ces cas (copropriété tertiaire ou ensemble immobilier), une association syndicale libre (ASL) ou un association foncière urbaines libres (AFUL) permet souvent la gestion des biens et ouvrages d’intérêts communs de ces ensembles d’importances.

L’ASL est régie par l’ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004, et son décret n° 2006-504 du 3 mai 2006, et cette dernière est soumise à un régime associatif. Si un tel régime permet plus de souplesse, en revanche la règle de l’unanimité s’impose à son entrée et à sa sortie.

Les AFUL sont des organes de gestion des grands ensembles immobiliers, et relèvent, tout comme les ASL, du droit privé. Les AFUL suivent donc les principes de fonctionnement de l’ordonnance n° 2004-632, précisés par les articles L. 322-1 à L. 322-11 du Code de l’urbanisme, et sont donc à la fois, soumises aux règles générales des associations syndicales libres (ASL, constitution, administration) mais aussi à des règles particulières qui concernent leur objet (la mission), la composition des assemblées et le rôle du président.

A défaut de l’adhésion ab initio à l’une de ces associations, un syndicat de copropriétaires peut être membre d’une union de syndicats, groupement doté de la personnalité civile, dont l’objet est d’assurer la création, la gestion et l’entretien d’éléments d’équipement communs ainsi que la gestion de services d’intérêt commun (Article 29 de la loi du 10 juillet 1965).

L’avantage de l’union est que l’adhésion à ce mode d’organisation ne se fait pas l’unanimité. L’inconvénient, c’est le risque qu’un de ses membres ou syndicat des copropriétaires décide d’en sortir à la majorité de l’article 25 : cela risque de désorganiser l’union et de la priver de stabilité.

S’il n’est pas évident de sortir du statut de la copropriété ou d’y déroger, en revanche il a été prévu des règles pour rapetisser les copropriétés ou décentraliser leurs gouvernances.

La gouvernance d’un syndicat de copropriété peut en effet être rendue difficile en raison de l’existence de désaccords entre les copropriétaires de certains bâtiments. Dans ce cas, une solution peut être d’envisager la sortie d’un des bâtiments à travers le mécanisme de la scission de copropriété.

Ce régime prévu à l’article 28 de la loi du 10 juillet 1965 a été facilité par les dernières réformes et en particulier a été prévue le cas de la division en volumes d’un ensemble immobilier complexe comportant soit plusieurs bâtiments distincts sur dalle, soit plusieurs entités homogènes affectées à des usages différents, pour autant que chacune de ces entités permette une gestion autonome.

Au titre de la décentralisation, le syndicat des copropriétaires peut prévoir d’organiser en son sein :

  • Des syndicats secondaires:

« Lorsque l’immeuble comporte plusieurs bâtiments ou plusieurs entités homogènes susceptibles d’une gestion autonome, les copropriétaires dont les lots composent l’un ou plusieurs de ces bâtiments ou entités homogènes peuvent, réunis en assemblée spéciale, décider, à la majorité des voix de tous les copropriétaires, la constitution entre eux d’un syndicat, dit secondaire. » Article 27 de la loi du 10 juillet 1965

L’avantage consiste à permettre une organisation propre par bâtiment, et même depuis l’ordonnance du 30 octobre 2019, pour les entités homogènes susceptibles d’une gestion autonome, c’est-à-dire certaines parties de bâtiments.

L’inconvénient du syndicat secondaire réside néanmoins dans complexification de l’organisation via la création de personnes morales multiples ; l’organisation d’assemblées générales pour le syndicat principal et pour le secondaire ; la multiplicité des syndics.

  • Des parties communes spéciales :

 

« Les parties communes spéciales sont celles affectées à l’usage ou à l’utilité de plusieurs copropriétaires. Elles sont la propriété indivise de ces derniers.

La création de parties communes spéciales est indissociable de l’établissement de charges spéciales à chacune d’entre elles.

Les décisions afférentes aux seules parties communes spéciales peuvent être prises soit au cours d’une assemblée spéciale, soit au cours de l’assemblée générale de tous les copropriétaires. Seuls prennent part au vote les copropriétaires à l’usage ou à l’utilité desquels sont affectées ces parties communes. » article 6-2 de la loi du 10 juillet 1965

Ce régime des parties communes spéciales vient concurrencer les syndicats secondaires, en évitant d’avoir à multiplier les personnes morales et les assemblées générales. Afin de sécuriser leurs existences, il convient souvent de procéder à la mise en conformité du règlement de copropriété en application de l’article 209 de la loi ELAN.

3.Quelle gouvernance pour les grandes copropriétés ?

Quel que soit la taille de l’ensemble immobilier, la gouvernance fonctionne toujours avec le trio : syndicat des copropriétaires, syndic et conseil syndical :

Les décisions du syndicat sont prises en assemblée générale des copropriétaires ; leur exécution est confiée à un syndic sous le contrôle d’un conseil syndical qui l’assite et le contrôle.

Le rôle du conseil syndical est accru dans les grandes copropriété.

Afin d’améliorer son rôle, de courroie de transmission auprès d’une multitude de copropriétaires, il pourrait s’emparer des nouvelles facultés prévues par l’ordonnance du 30 octobre 2019 :

  • Bénéfice d’une délégation élargie que peut lui consentir l’assemblée générale pour les décisions qui se votent à la majorité de l’article 24 de la loi du 10 juillet 1965. Il s’agissait du régime prévu par le GRECCO pour les grandes copropriétés de plus de 200 lots : d’office cette délégation était consentie au conseil d’administration sans vote préalable de l’assemblée générale. Avec cette nouvelle délégation, seule l’assemblée générale peut consentir cette délégation à la majorité de l’article 25 ; (articles 21-1 à 21-5 nouveaux de la loi du 10 juillet 1965) ;
  • Demande de pénalité de 15 € par jour si le syndic tarde à transmettre les documents réclamés par le conseil syndical au-delà d’un délai d’un mois – (article 21 de la loi du 10 juillet 1965) ;
  • Non renouvellement ou résiliation du contrat de syndic en cours de mandat en cas d’inexécution suffisamment grave – (article 18 de la loi du 10 juillet 1965).

On constate donc d’un côté, une multiplication des dispositions spécifiques permettant la gestion des grandes copropriétés, et de l’autre une augmentation des exigences légale à leurs endroits.

4. Quels sont les enjeux pour les grandes copropriétés ?

La loi 3DS du 21 avril 2022 oblige à mettre en conformité les règlements de copropriété afin de tenir compte des parties communes spéciales, à jouissance privative ou les lots transitoires dont l’existence serait mal mentionnée.

La loi Climat et résilience du 22 août 2021 a prévu d’accélérer la rénovation des immeubles bâtis soumis au statut de la copropriété et en particulier d’accroître leur niveau de performance énergétique.

A ce titre, les calendriers[7] visant à généraliser le nouveau diagnostique de performance énergétique collectif et l’adoption d’un projet de plan pluriannuel de travaux (PPPT) concernent en priorité les copropriétés comportant plus de 200 lots.

2023 2024 2025 2026
PPPT pour les copropriétés de 200 lots ou plus –          PPPT pour les copropriétés de 50 lots ou plus

 

–          DPE collectif pour les copropriétés de 200 lots ou plus

–          PPPT pour toutes les copropriétés de plus de 50 lots

 

–          DPE collectif pour les copropriétés de 50 lots ou plus

 

DPE collectif pour toutes les copropriétés

En raison de ces calendriers, il est recommandé d’anticiper l’adoption du DPE collectifs afin d’éviter de faire doublon avec le PPPT.

Par ailleurs, en application du décret tertiaire (également appelé dispositif éco-énergie) les syndicats de copropriétés qui ont des propriétaires ou locataires exerçant des activités tertiaires, marchande ou non, sur une surface de planchers de plus de 1.000 m² sont concernées dans un premier temps par l’obligation déclarative sur la plateforme OPERAT avant le 31 décembre 2023 puis par les obligations de travaux d’économies d’énergie. (Décret du 23 juin 2019)

Enfin, en matière énergétique, la mise en œuvre du bouclier tarifaire totale ou partielle pour les copropriétés éligibles, la renégociation[8] des contrats d’énergie à la demande des opérateurs sont des sujets sensibles pour les grandes copropriétés.

Une maîtrise des charges est essentielle et le bénéfice de la grande taille peut être un atout dans le cadre d’une négociation.

A l’inverse, la gouvernance peut entrainer une copropriété dans la spirale de la difficulté à l’instar de la copropriété GRIGNY 2 : insalubrité, marchands de sommeil, impayés etc.

En conséquence, la vigilance est cruciale pour les syndics de copropriété, conseils syndicaux et copropriétaires : la gouvernance est mise aux défis de faire face à ces obligations nouvelles sans qu’un nouveau régime ne soit proposé.

A ce titre, l’ensemble de ces dispositifs envisagés dans cette lettre seront analysés lors des prochaines tribunes et conférences de l’UGGC.

[1] Séance du 22 avril 1965 – rapporteur Monsieur Raymond ZIMMERMAN lors discussion du Projet de loi du 10 juillet 1965

[2] Le syndicat des copropriétaires comportant au plus cinq lots principaux à usage de logements, de bureaux ou de commerces, ou lorsque le budget prévisionnel moyen du syndicat des copropriétaires sur une période de trois exercices consécutifs est inférieur à 15 000€.

[3] Loyers et Copropriété n° 11, Novembre 2017, entretien 1 : L’avant-projet de réforme de la copropriété : le GRECCO remet ses travaux – Entretien avec M. Le professeur Hugues PÉRINET-MARQUET propos recueillis par Christelle COUTANT-LAPALUS

[4] Jacques Laporte, Conseiller du Président du Groupe FONCIA, Loyers et copropriété n°5, Mai 2018, étude n°5 La réforme est en vue. Simple mise à jour ou bouleversement des fondamentaux.

[6] Le volume – cubes superposés ou imbriqués – s’entend comme un espace homogène à trois dimensions :

1°/ toujours défini par des cotes géométriques, limité physiquement dans sa totalité (paroi, plafond, plancher) ou en partie seulement (dalles ne comportant aucune construction) ou enfin entièrement immatériel (volume à bâtir ou devant rester non bâti comme l’espace au-dessus d’une dalle de couverture) ;

2°/ affecté à un usage ou une fonction déterminée ;

3°/ jouissant par rapport aux autres volumes d’une certaine autonomie allant de l’absence totale de communication jusqu’à l’exercice de servitudes

La construction en volumes, Pierre Walet, Pierre Chambelland, page 6, Edition Masson,

[7] Article L. 126-31 du code de la construction et de l’habitation et 14-2 de la loi du 10 juillet 1965

[8] Sur la renégociation les fournisseurs de contrat de GAZ peut solliciter la modification unilatérale du contrat en se fondant sur : l’article R. 445-5 du Code de l’énergie, L.224-1 du code de la consommation et 1195 du code civil. Une réponse circonstanciée et vérification des conditions visées par ces textes s’imposent pour sortir amiablement d’un éventuel conflit lié à une demande abusive d’augmentation ou d’une résiliation unilatérale du contrat.

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