Dans le contexte de crise sanitaire face aux contentieux qui se multiplient et à l’absence de consensus des juridictions, les bailleurs de locaux commerciaux peuvent avoir le sentiment de ne plus savoir comment réagir face à une situation d’impayé.
La jurisprudence a-t-elle tranché sur l’exigibilité des loyers commerciaux ? Faut-il engager une procédure judiciaire ? Faut-il tenter une résolution amiable du litige et le cas échéant quelles sont les solutions alternatives ? En tant que bailleur peut-on solliciter une aide de l’État ?
De nombreuses questions tant pratiques et juridiques sur lesquelles nous nous sommes attardés afin d’apporter une réponse aux bailleurs, au regard de la jurisprudence actuelle et de l’état du droit au 1er trimestre 2021.
Les bailleurs sont-ils en droit d’intenter une action judiciaire en recouvrement des loyers commerciaux et/ou résiliation du bail commercial ?
En tout état de cause, il est important de rappeler que le bailleur conserve son droit d’action et qu’il peut s’il le désire intenter une action judiciaire afin de recouvrer le montant des loyers dus par son locataire outre poursuivre son expulsion.
Cependant avant d’engager des frais de procédure et de conseil, il est essentiel d’analyser certains paramètres et de s’interroger sur l’opportunité d’une telle démarche.
Dans un premier temps, pour les bailleurs dont le locataire serait éligible au dispositif mis en place par l’article 14 de la loi n°2020-13-79 du 14 novembre 2020, il est opportun de suspendre la délivrance de l’assignation jusqu’à l’issue de la période de deux mois à compter de la fin des mesures de police. A défaut, il existe un risque d’irrecevabilité de la demande ou de décision de sursis à statuer.
En effet, l’article 14 précise que :
« Jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle leur activité cesse d’être affectée par une mesure de police mentionnée au I, les personnes mentionnées au même I ne peuvent encourir d’intérêts, de pénalités ou toute mesure financière ou encourir toute action, sanction ou voie d’exécution forcée à leur encontre pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives afférents aux locaux professionnels ou commerciaux où leur activité est ou était ainsi affectée.
Pendant cette même période, les sûretés réelles et personnelles garantissant le paiement des loyers et charges locatives concernés ne peuvent être mises en œuvre et le bailleur ne peut pas pratiquer de mesures conservatoires.
Toute stipulation contraire, notamment toute clause résolutoire ou prévoyant une déchéance en raison du non-paiement ou retard de paiement de loyers ou charges, est réputée non écrite. »
L’on rappellera que le décret du 30 décembre 2020 n° 2020-1766 dispose que les locataires concernés par cette mesure doivent remplir cumulativement ces trois critères :
– l’effectif salarié doit être inférieur à 250 salariés ;
– le montant du dernier exercice clos doit être inférieur à 50 millions d’euros de chiffre d’affaires ;
– les locataires ont dû connaitre sur le mois de novembre 2020 une baisse de chiffre d’affaires d’au moins 50% en comparaison avec novembre 2019 ou par rapport au chiffre d’affaires mensuel moyen en 2019.
Il est précisé que pour les entreprises ayant fait l’objet d’une interdiction d’accueil au public, le chiffre d’affaires de novembre 2020 n’intègre pas les activités de vente à distance avec retrait en magasin ou livraison.
A l’exception de locataires institutionnels, on peut donc considérer qu’un très large groupe de locataires sera éligible à ce dispositif et que l’article 14 de la loi du 14 novembre 2020 sera systématiquement opposé aux bailleurs demandeur jusqu’à l’issue de la période de deux mois à compter de la fin des mesures de police.
Néanmoins, les termes de cet article interrogent et il reste selon nous la possibilité d’initier une procédure à l’encontre d’un locataire dont l’arriéré locatif est antérieur à la crise sanitaire.
En effet, si l’on s’en tient à l’esprit de ce texte rappelé par le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris il s’agit avant tout :
« d’interdire pour un temps déterminé toute mesure d’affecter la pérennité de la relation contractuelle entre bailleurs et entreprises mentionnées au I ( soit celles qui sont affectées par des mesures de restriction de leur liberté de commerce) en lien avec le non-paiement ou le retard de paiement des loyers dus pendant une période définie au IV (soit les loyers échus pendant la période pendant laquelle les restrictions sont en vigueur) et de laisser aux preneurs le temps de retrouver une activité normale pour faire face à leurs obligations dont la durée est précisée au II ( la protection s’appliquant jusqu’à la fin des mesures de restrictions) ». (Ordonnance de référé du Tribunal judiciaire de Paris du 21 janvier 2021 n°20/55750).
Cette mesure vient « protéger » les locataires dont l’activité est affectée par la crise sanitaire.
A l’inverse, si la situation d’impayée résulte d’une irrégularité antérieure à la première période de confinement, soit mars 2020, il est possible d’envisager de solliciter a minima le paiement des loyers et charges antérieurs, et si l’inexécution est suffisamment grave, une résiliation du bail sur ce fondement.
Le bailleur est également recevable à solliciter une résiliation du bail sur d’autres fondements, étrangers au non-paiement des loyers et charges, comme par exemple : une sous-location irrégulière, le non-respect de la destination du bail ou encore des troubles anormaux de voisinage. En effet, le preneur ne saurait se prévaloir de la crise sanitaire pour contester une telle action.
En revanche, il est utile de rappeler que même si le bail commercial contient une clause d’exploitation continue du local, le bailleur ne saurait utiliser ce fondement pour obtenir la résiliation du bail durant les périodes où le local était fermé en raison de fermetures administratives. Il appartient, en effet, au preneur de se conformer aux règles administratives en vigueur et la règle privée ne peut surpasser de telles règlementations.
En tout état de cause, au regard des nombreuses contestations qui peuvent être soulevées par le preneur, il convient impérativement d’assigner le locataire devant le juge du au fond et non en référé dans la mesure où le juge des référés est le juge de « l’évidence ». Cette procédure sera plus longue puisqu’elle implique une phase d’instruction (mise en état), mais cela permettra de réduire les frais de procédure en évitant d’être dans un premier temps débouté en référé.
Quels sont les fondements légaux que le bailleur peut invoquer dans le cadre d’une procédure judiciaire ?
Pour l’heure, les juridictions saisies des questions de l’exigibilité des loyers en période Covid ne dégagent aucun consensus en faveur des bailleurs ou des preneurs.
Il est à noter cependant que sur les trois décisions rendues sur le fond, aucune d’elles n’a fait droit aux demandes du Preneur.
En effet, le tribunal judiciaire de Paris a considéré dans un jugement du 10 juillet 2020 que le bailleur avait exécuté le contrat de bonne foi en proposant des délais de paiement au preneur et a fait droit à sa demande en paiement de la dette par compensation partielle (Jugement du Tribunal judiciaire de Paris du 10 juillet 2020 n°20/04516).
La Cour d’appel de Grenoble a également écarté l’application de l’exception d’inexécution et le moyen tiré de la force majeure soulevés par un locataire exploitant une résidence de tourisme en considérant d’une part que le bailleur n’avait pas rendu impossible la location des lots et l’exercice par le preneur de son activité hôtelière, mais également que la pandémie n’avait pas eu de conséquences irrésistibles ( pas de justification de l’impossibilité de payer et pas de justification de l’impossibilité totale de louer les locaux d’habitation à une clientèle autre que touristique) (Arrêt de la Cour d’appel de Grenoble chambre commerciale, 5 Novembre 2020 – n° 16/04533).
Plus récemment, le tribunal judiciaire de Paris a débouté une locataire de sa demande en restitution des loyers échus entre le 15 mars et le 11 mai 2020, en considérant en application de l’article 1719 du Code civil que le bailleur n’a pas à « garantir au preneur la chalandise des lieux loués et la stabilité du cadre normatif, dans lequel s’exerce son activité » (Jugement du Tribunal judiciaire de Paris du 25 février 2021 n°18/02353).
Ce dernier jugement vient d’ailleurs remettre en cause la décision du juge de l’exécution du Tribunal de Paris qui avait considéré que l’impossibilité pour le preneur de jouir de son local en raison de la fermeture administrative relevait de la perte de la chose louée et avait ordonné la mainlevée de la saisie attribution pratiquée sur la base d’un acte notarié (Juge de l’exécution du Tribunal judiciaire de Paris du 20 janvier 2021 n° 20/80923).
Par un arrêt du 4 février 2021, la Cour d’appel de Paris a infirmé une ordonnance de référé déclarant que le preneur avait soulevé des contestations sérieuses empêchant l’acquisition de la clause résolutoire et précisé que « force est de constater que la pandémie du Covid-19, qui a bien évidemment eu de lourdes conséquences sur le secteur de la restauration, ne suffit pas à dispenser l’exploitant du paiement des loyers et indemnités d’occupation dus ». Cependant, cet arrêt est à relativiser dans la mesure où le commandement de payer adressé par le bailleur datait du 30 janvier 2020 pour une acquisition de clause résolutoire au 2 mars 2020 soit avant la période de premier confinement.
Les autres décisions rendues en référés sont certes intéressantes mais elles ne valident pas l’efficacité de tel ou tel fondement puisque lorsque le locataire a obtenu gain de cause il s’agissait avant tout du constat de contestations sérieuses.
Ainsi, le bailleur qui souhaite s’opposer à une restitution du loyer ou qui souhaite obtenir le paiement des loyers commerciaux dispose d’arguments juridiques emportant d’ores et déjà la conviction des juges :
- Le principe de l’exécution de bonne foi du contrat de bail sur le fondement de l’article 1104 du Code civil. A ce titre, le bailleur peut notamment démontrer qu’il a mis en place un aménagement du paiement du loyer et/ou qu’il a répondu aux sollicitations de son preneur dans la limite d’une négociation raisonnable (échéancier, franchise, suspension du paiement etc.). En l’absence de réaction du preneur ou en cas de contre-propositions farfelues, il sera, malgré tout, considéré que le bailleur a fait le nécessaire pour pérenniser la relation contractuelle.
- L’absence de perte de la chose loué en application de l’article 1719 et 1722 du Code civil en ce que le local n’a jamais cessé d’être à la disposition du locataire et que le bailleur n’a pas à garantir une chalandise constante.
- L’absence d’un cas de force majeure en ce que la crise sanitaire n’a pas totalement empêché le locataire de régler son loyer (absence de justification de la situation financière du preneur, ouverture partielle des locaux notamment par des dispositifs de click-and-collect ou de livraison). A ce titre, la crise sanitaire ne présente pas le caractère d’irrésistibilité propre à la force majeure, notamment lorsque l’on sait qu’il est impossible de s’exonérer de l’obligation de payer une somme d’argent en utilisant ce fondement (Arrêt de la Cour de cassation du 16 septembre 2014 n 13-20.306).
Il nous semble également qu’il y a lieu d’adapter ses prétentions au cas par cas en fonction de :
- la nature du commerce concerné (restauration, commerce de détail etc) qui a été affectée de manière différente par les mesures de police administrative ;
- l’envergure du preneur concerné : les preneurs ayant une assise financière importante pourront difficilement arguer d’une impossibilité de régler les loyers, d’autant plus lorsque le bailleur est une SCI familiale ou une personne physique ;
- des différentes périodes concernées : en fonction de mesures de police administrative en vigueur, l’activité des locataires a été plus ou moins affectée par la crise sanitaire ;
- des régions où l’activité est exploitée : les mesures administratives n’ont pas toujours été appliquées sur l’ensemble du territoire national.
Quelles sont les démarches amiables qui s’offrent aux bailleurs pour obtenir le paiement des loyers ?
- Convenir d’un protocole d’accord prévoyant des paiement échelonnés
Avant toute action judiciaire et afin de démontrer que le bailleur est de bonne foi, il est envisageable de proposer au preneur de signer un protocole d’accord transactionnel.
En effet, les parties ne doivent pas oublier qu’elles sont des partenaires commerciaux et que la pérennité du commerce a également un effet positif sur la valeur de l’immeuble loué et sur l’établissement d’une relation de confiance sur le long terme.
A ce titre, l’article 2044 du code civil dispose que : « la transaction est un contrat par lequel les parties « par des concessions réciproques, » terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naitre. Ce contrat doit être rédigé par écrit ».
Ainsi, aux termes de cet accord, le preneur s’engage à régler son arriéré locatif en plusieurs échéances et selon des conditions définies par le protocole d’accord qui peut également prévoir que le bailleur lui accorde une franchise de loyer.
De plus, si l’accord intervient en cours d’instance il pourra être homologué par le juge afin de lui conférer une force exécutoire.
A défaut de respect de cet accord, le bailleur retrouvera ses droits et pourra engager une action en justice en règlement des loyers et si l’accord a été homologué, il pourra directement contraindre le locataire au respect de ses engagements en mandatant un huissier de justice.
Afin de parfaitement sécuriser l’acte, il est nécessaire de mandater un avocat pour le rédiger et en conserver un exemplaire original signé et paraphé par l’ensemble des parties.
Par ailleurs, dans l’hypothèse où le bailleur accorderait un abandon de loyer, il est utile de rappeler que l’article 20 de la loi de finance pour 2021 (LOI n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021) prévoit un crédit d’impôt dont les conditions d’éligibilité sont précisées par le ministère de l’économie et des finances.
- Convenir d’une résiliation anticipée du bail
En vertu du principe de la force obligatoire du contrat, les parties sont tenues de respecter leur engagement mais elles conservent la possibilité de modifier leurs obligations respectives d’un commun accord : c’est le principe du mutus dissensus (article 1193 du Code civil).
A ce titre, même si la durée et la résiliation anticipée du bail ont été contractuellement définies, les parties peuvent convenir d’une rupture anticipée du bail dans des termes différents.
Celle-ci va se manifester par la rédaction d’un protocole d’accord ou d’un avenant qui va venir établir les conditions de la résiliation : éventuel versement d’une indemnité de résiliation, solde du loyer et des charges, date d’effet, conditions d’acceptation du successeur dans le commerce, éventuelle signature d’un nouveau bail avec le preneur actuel, constat d’état des lieux de sortie et préavis etc.
L’on signalera qu’en vertu de l’article L.143-2 du Code de commerce « La résiliation amiable du bail ne devient définitive qu’un mois après la notification qui en a été faite aux créanciers inscrits, aux domiciles élus. ».
Afin de sécuriser cet accord, il appartient donc au bailleur de notifier la demande de résiliation aux créanciers inscrits en leur signifiant l’acte de résiliation. A défaut, ces derniers pourraient remettre en question la validité de la rupture et solliciter des dommages-intérêts.
- Faire appel à un tiers
Médiation, conciliation, procédure participative, les modes alternatifs de règlement des différends (MARD) sont également un moyen mis à la disposition du bailleur afin de trouver rapidement une solution face à des impayées de loyers durant la période COVID (article 1528 et suivants du Code de procédure civile).
Il est possible d’avoir recours à ces modes de règlement en cours d’instance ou en dehors de toute procédure judiciaire (l’accord ou le constat en découlant pourra également faire l’objet d’une homologation).
Ces procédures alternatives permettent aux parties de garantir la confidentialité de leurs échanges et d’obtenir un accord rapide à l’heure où l’on sait que les juridictions sont surchargées et que les délais pour obtenir une décision, notamment au fond, sont de plus en plus en long.