Le maître d’ouvrage qui fait édifier un immeuble doit faire preuve de vigilance quant à la question des vues dès lors que le permis de construire peut être délivré même si l’ouvrage projeté comprend des vues irrégulières. Ainsi, l’obtention du permis de construire ne protège ni le maître d’ouvrage ni l’architecte des recours des voisins.
Le permis de construire a pour objet de vérifier la conformité de la construction projetée aux règles d’urbanisme. Néanmoins, le permis de construire « ne vérifie pas si le projet respecte les autres réglementations et les règles de droit privé. Toute personne s’estimant lésée par la méconnaissance du droit de propriété ou d’autres dispositions de droit privé peut donc faire valoir ses droits en saisissant les tribunaux civils, même si le permis respecte les règles d’urbanisme » (article A.424-8 du Code de l’urbanisme).
En application du texte susvisé, le permis de construire constitue une autorisation délivrée sous réserve des droits des tiers. Ainsi, l’obtention d’un permis de construire ne protège pas le maître d’ouvrage des éventuels recours liés aux droits des tiers. En effet, un tiers peut se prévaloir d’une atteinte portée à ses droits par une construction et notamment, en cas de vue sur sa propriété.
Les vues sont des ouvertures qui peuvent être pratiquées dans les murs séparant deux fonds. Laissant passer l’air, la lumière, et le regard, elles ne peuvent être pratiquées que dans des murs situés à une certaine distance du fonds voisin. Sont assimilés aux ouvertures les perrons, balcons, terrasses, galeries, lucarnes, escaliers, exhaussements de terrain …
La vue peut être droite ou oblique.
Une vue droite est une ouverture qui, fictivement prolongée dans la direction de son axe, atteint le fonds voisin. Il s’agit d’une vue directe depuis n’importe quel étage du bâtiment.
Une vue oblique, quant à elle, permet de regarder chez le voisin uniquement en se penchant ou en tournant la tête à droite ou à gauche. Il ne s’agit pas d’une vue directe comme dans le cas de la vue droite, mais d’une vue latérale.
Des règles de distances minimales des vues par rapport à une propriété voisine sont édictées par le Code civil aux articles 678 et 679. Ces conditions de distance ont pour but de protéger l’intimité du propriétaire du fonds voisin. Ainsi, le maître d’ouvrage qui procède à l’édification d’un immeuble doit tenir compte du « risque d’indiscrétion » induit par l’ouvrage projeté.
En application des articles 678 et 679 du Code civil, le maître d’ouvrage d’une construction ne peut pas créer :
- Une vue droite à moins de 1,90 mètre de la limite séparative du fonds voisin,
- Une vue oblique à moins de 0,60 mètre.
L’ouvrage projeté ne peut donc avoir de vues, fenêtres ou balcons sur la propriété voisine s’il n’y a pas 1,90 mètre ou 0,60 mètre entre le voisin et l’ouvrage dans lequel est pratiqué la vue.
Ces règles ne concernent que les propriétés contiguës et ne sont pas applicables dans les rapports entre copropriétaires d’un ensemble immobilier (Civ. 3e, 2 déc. 1980, JCP N 1981. II. 266, note B. Stemmer ; 10 janv. 1984, D. 1985. 335, note J.-L. Aubert ; 19 juill. 1995, RTD civ. 1998. 145, obs. F. Zénati).
Une exception à l’application de ces textes existe dans le cas où « le fonds sur lequel s’exerce la vue est déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d’une servitude de passage. » (Cass. 3e civ. 14 mars 1973, n°72-10676).
En cas de non-respect des distances minimales imposées par le Code civil, le maître d’ouvrage s’expose à une action en justice de la part du propriétaire du fonds voisin, menant à la modification ou la suppression de la vue irrégulière. Sur ce point, les juges disposent d’un pouvoir souverain d’appréciation (Civ. 3e, 19 févr. 1971, Bull. civ. III, no 133). Néanmoins, les juges ne peuvent substituer l’allocation de dommages-intérêts à la démolition sollicitée par les demandeurs (Civ. 1re, 4 mai 1964, Bull. civ. I, no 229).
En cas d’action initiée par le voisin à l’encontre du maître d’ouvrage, ce dernier pourra se retourner contre le maître d’œuvre en charge de la conception du projet. En effet, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, l’architecte chargé de la conception d’un projet et de l’élaboration des plans de permis de construire qui, faute de visite sur les lieux, ne constate pas l’existence d’une fenêtre susceptible de constituer une servitude de vue et qui ne s’interroge pas sur l’atteinte éventuelle que la construction projetée pourrait ainsi causer aux droits des tiers, manque à son devoir de conseil dès lors qu’il est tenu de concevoir un projet réalisable (Civ. 3e, 15 déc. 2004, n°03-17.070).
L’action en justice s’éteint toutefois par la prescription trentenaire. Ainsi, le propriétaire d’un fonds ne peut initier une action à l’encontre de son voisin si la vue irrégulière alléguée existe depuis 30 ans.