Dans un récent arrêt de la Cour d’appel de Paris, il a été jugé que le droit de préemption du locataire commercial de l’article L.154-46-1 du Code de commerce bénéficiait également au preneur de locaux à usage de bureaux. (CA Paris, pôle 5, ch. 3, 1er déc. 2021 n° 20/00194 : JurisData n° 2021-021466)
Cette décision nous donne l’opportunité de revenir sur le régime du droit de préférence du preneur et les précisions apportées par la jurisprudence sur un dispositif aménagé de manière laconique par le législateur.
Qu’est-ce que le droit de préférence du locataire commercial et quelle est la sanction en cas d’inobservation ?
La loi dite « Pinel »[1] avait pour vocation de d’adopter des dispositions au soutien des plus petites entreprises commerciales qui subissent la pression immobilière des centres-villes.
A ce titre, cette loi a instauré un droit de préemption au profit du locataire commercial afin que ce dernier puisse bénéficier d’une priorité sur la vente du local.
Ce droit se traduit par une information du propriétaire, adressée au preneur par voie de lettre recommandée, de son intention de vendre, du prix et des conditions de la vente.
Il est précisé que cette notification « vaut offre de vente au profit du locataire. »
Le locataire dispose d’un délai d’un mois à compter de sa réception pour accepter la vente, puis d’un délai de deux mois, porté à quatre mois en cas de recours à un prêt, pour la réalisation de la vente, dans le cas contraire, l’acceptation de la vente est sans effet.
Dans l’hypothèse où le bailleur déciderait de vendre à des conditions ou à un prix plus avantageux « le notaire doit, lorsque le bailleur n’y a pas préalablement procédé, notifier au locataire dans les formes prévues au premier alinéa, à peine de nullité de la vente, ces conditions et ce prix ». A nouveau, les délais prévus pour la première notification s’appliquent.
Il est à noter que les dispositions de l’article L.145-46-1 du Code de commerce ont été déclarées d’ordre public [2] par la Cour de cassation, ce qui signifie que les parties ne peuvent pas y déroger contractuellement.
S’agissant de la sanction en cas de vente réalisée au mépris du droit de préférence du preneur, le texte est imprécis puisqu’il est fait mention de la nullité de la notification qui ne contient pas le prix et les conditions de la vente, mais pas de la vente elle-même.
La nullité de la vente n’est évoquée qu’au stade de la seconde notification de la vente à des conditions plus avantageuse « Dans le cas où le propriétaire décide de vendre à des conditions ou à un prix plus avantageux pour l’acquéreur, le notaire doit, lorsque le bailleur n’y a pas préalablement procédé, notifier au locataire dans les formes prévues au premier alinéa, à peine de nullité de la vente, ces conditions et ce prix. ».
Cependant, sauf à méconnaitre l’objectif de ce texte, il est difficile d’imaginer que cette sanction ne s’applique pas à la vente conclue postérieurement à la première notification.
On parlera alors d’une nullité relative (régie par l’article 1181 du Code civil) qui ne profite qu’au seul locataire et non pas au tiers acquéreur qui ne peut se saisir de cette nullité pour faire annuler la vente.
A quel moment doit-on purger le droit de préemption ?
En pratique, le propriétaire, qui désire vendre des locaux donnés à bail, s’adresse tout d’abord à un agent immobilier afin de rechercher un acquéreur. Dès qu’une offre d’achat est acceptée, le droit de préférence est purgé, souvent par les notaires après la régularisation d’une promesse de vente sous condition suspensive.
Toutefois, le texte de l’article L.145-46-1 du code de commerce précise que le propriétaire du local doit adresser une notification au preneur lorsqu’il « envisage » de vendre le local. Ce terme est trop général pour déterminer le moment précis où le propriétaire doit purger le droit de préférence du preneur.
Se pose alors la question de savoir si la purge du droit de préférence doit intervenir avant la recherche d’un acquéreur ou s’il est possible de le faire après, voire après la signature d’une promesse de vente.
Ainsi, le propriétaire a-t-il le droit de faire réaliser des études (expertise, évaluation), de négocier avec des tiers, de signer une promesse de vente ou même un compromis sous conditions suspensive de purge du droit de préemption ?
La jurisprudence n’était pas fixée et dans un arrêt du 28 mars 2019[3], la Cour d’appel de Douai a jugé qu’un bailleur qui envisage de vendre son local commercial doit préalablement notifier au preneur une offre de vente, ce qui impliquait qu’il ne devait pas attendre une offre d’achat pour en informer son preneur.
Dans l’arrêt précité du 28 juin 2018, la Cour de cassation avait déjà jugé que le bailleur qui envisage de vendre son local commercial doit préalablement notifier au preneur une offre de vente.
Dans un arrêt du 23 septembre 2021[4], la Cour de cassation semble opérer un revirement de jurisprudence.
En effet, en l’espèce la Cour a jugé que « la cour d’appel a exactement retenu que, la notification de l’offre de vente ayant été adressée préalablement à la vente, l’association avait pu confier à la société Immopolis un mandat de vente le 3 mars 2018, puis faire procéder à des visites du bien et que le fait qu’elle ait conclu, le 8 novembre 2018, une promesse unilatérale de vente, sous la condition suspensive tenant au droit de préférence du preneur, n’invalidait pas l’offre de vente. ».
Ainsi, la Cour de cassation considère désormais qu’une notification effectuée postérieurement à la régularisation d’une promesse de vente est valable.
Néanmoins, cette décision doit être analysée avec prudence dès lors qu’il s’agissait en l’espèce d’une promesse unilatérale de vente sous condition suspensive de purge du droit de préférence du preneur. On peut donc s’interroger sur le maintien de cette jurisprudence en présence d’une promesse synallagmatique ou d’une promesse sans conditions suspensive.
Les agents immobiliers peuvent-ils percevoir une commission sur la vente réalisée au profit du preneur suite à la notification de son droit de préférence ?
L’arrêt de la Cour de cassation du 28 juin 2018 précité répond précisément à cette question : « le bailleur qui envisage de vendre son local commercial doit préalablement notifier au preneur une offre de vente qui ne peut inclure des honoraires de négociation ».
Cette position est compréhensible puisque l’agent immobilier n’aura pas à faire de diligences pour trouver un acquéreur qui est d’ores et déjà désigné par la loi.
Néanmoins, la mention des honoraires de l’agent immobilier n’entache pas la régularité de la notification réalisée par le propriétaire auprès du locataire dès lors que ce dernier peut donner son accord sur le prix de vente en principal.
La Cour a ainsi considéré que la vente était parfaite du fait de la rencontre de l’offre du bailleur et de l’acceptation du preneur d’acquérir le local au seul prix de vente.
La Cour de cassation a réitéré cette solution dans son arrêt du 23 septembre 2021 (précité).
En pratique, il est tout de même recommandé d’éviter de mentionner ces frais pour éviter toute confusion dans l’esprit du locataire.
Le droit de préemption s’applique-t-il à tous les types de locaux commerciaux ?
L’article L.145-46-1 du Code de commerce précise que seul le propriétaire de locaux à usage commercial ou artisanal doit purger le droit de préemption du preneur.
Ainsi, il semble que le législateur ait voulu intégrer une limite tenant à l’usage du local.
Une question ministérielle[5] du 25 février 2021 à l’initiative de Monsieur Hervé Marseille, sénateur des Hauts-de-Seine, a permis de préciser davantage le champ d’application du droit de préemption relativement au type d’activité exploitée par le preneur.
Ce dernier souhaitait avoir confirmation que les locaux dont la destination est indiquée à l’article R. 151-28 du code de l’urbanisme ne relèvent pas des dispositions de l’article L.145-46-1 du Code de commerce.
L’article R.151-28 du Code de l’urbanisme regroupe les sous destinations suivantes :
« 1° Pour la destination » exploitation agricole et forestière » : exploitation agricole, exploitation forestière ;
2° Pour la destination » habitation » : logement, hébergement ;
3° Pour la destination » commerce et activités de service » : artisanat et commerce de détail, restauration, commerce de gros, activités de services où s’effectue l’accueil d’une clientèle, cinéma, hôtels, autres hébergements touristiques ;
4° Pour la destination » équipements d’intérêt collectif et services publics » : locaux et bureaux accueillant du public des administrations publiques et assimilés, locaux techniques et industriels des administrations publiques et assimilés, établissements d’enseignement, de santé et d’action sociale, salles d’art et de spectacles, équipements sportifs, autres équipements recevant du public ;
5° Pour la destination » autres activités des secteurs secondaire ou tertiaire » : industrie, entrepôt, bureau, centre de congrès et d’exposition. ».
Considérant que le droit de préférence était « une limite à l’exercice du droit de propriété », le ministère de l’économie a indiqué que seul le titulaire du bail portant sur le local commercial ou artisanal peut en bénéficier mais cette réponse n’a pas précisément délimité ce qui relevait effectivement de ces catégories.
Si l’on comprend que les exploitations agricoles, l’habitation et les équipements d’intérêts collectifs seraient exclus du champ de l’article, qu’en est-il alors pour la catégorie des « autres activités des secteurs secondaire ou tertiaire » comprenant notamment les bureaux ?
L’intention du législateur semble avoir été de les exclure du champ d’application. En effet, dans un avis n° 446[6] déposé au Sénat le 9 avril 2014, la commission des lois estime que le texte exclut les entrepôts et les bureaux[7] et le Sénat a rejeté l’amendement n° 148[8] qui souhaitait étendre le droit de préemption aux bureaux.
Cette posture semble en accord avec l’objectif de la loi qui est de protéger essentiellement l’artisanat et le commerce.
Pourtant dans un arrêt du 1er décembre 2021[9], la Cour d’appel de Paris, ne tient pas compte de ce moyen soulevé par le propriétaire et juge que les locaux à usage exclusif de bureaux relevant des dispositions de l’article R. 145-11 du Code de commerce bénéficient du droit de préférence prévu par l’article L. 145-46-1 du Code de commerce.
La Cour a, en effet, considéré que les locaux de bureaux « ne sont ni inclus expressément ni exclus expressément du champ d’application de ce texte et il est inopérant pour Monsieur et Madame X de se prévaloir du rejet de l’amendement n° 148 visant à étendre ces dispositions aux locaux à usage de bureaux ».
Néanmoins, cette prise de position est à nuancer puisqu’il est précisé que « le litige portant sur les locaux donnés à bail à la société Foncia Giep, société inscrite au registre du commerce et des sociétés, locataire en vertu d’un bail conclu le 27 mars 2013 et soumis aux dispositions des articles L. 145-1 et suivants du code de commerce. » mais également que « les locaux sont destinés à l’usage exclusif de bureaux, pour l’activité d’administrateur de biens, syndic de copropriété, location, transaction. Cette activité est une activité commerciale par application des dispositions de l’article L. 110-1 du code commerce. Il s’ensuit que les locaux loués à la société Foncia Giep sont affectés à un usage commercial ; ».
Les locaux concernés relevaient donc de la catégorie de bureaux boutiques qui relèvent de l’article R. 145-11 du Code de commerce et dans lesquels une activité commerciale est exploitée.
La Cour de cassation maintiendra-t-elle sa jurisprudence en présence de locaux à usage exclusif de bureaux dans lesquels seul un travail intellectuel de nature administrative, comptable ou juridique est effectué ?
[1] Loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises
[2] Cour de cassation, 3ème chambre civile, 28 juin 2018 n°17-14.605
[3] CA Douai, 28 mars 2019, n° 17/03524
[4] Cour de cassation,3ème chambre civile, 23 septembre 2021, n°20.17.799
[5] Question écrite n° 21155 de M. Hervé Marseille (Hauts-de-Seine – UC) publiée dans le JO Sénat du 25/02/2021 – page 1261
[6] Avis n° 446 (2013-2014) de Mme Nicole BONNEFOY, fait au nom de la commission des lois, déposé le 9 avril 2014
[7] « Ce dispositif aurait vocation à s’appliquer aux seuls locaux à usage commercial ou artisanal. En seraient donc exclus les entrepôts, locaux de bureaux ou encore locaux mixtes de bureaux et d’activités commerciales. »
[8] http://www.senat.fr/amendements/2013-2014/441/jeu_classe.html
[9] CA Paris, pôle 5, ch. 3, 1er déc. 2021 n° 20/00194 : JurisData n° 2021-021466