Loyers covid et bail commercial : La fin d’une saga jurisprudentielle ?

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En raison des fermetures administratives imposées par le Gouvernement en raison de la crise sanitaire, de nombreux preneurs de locaux commerciaux ont suspendu le paiement de leurs loyers en l’absence de tout chiffre d’affaires, contraignant ainsi les bailleurs à initier des procédures judiciaires afin d’en obtenir le paiement.

Les bailleurs et les preneurs se sont ainsi livrés une bataille, sur le plan juridique, pendant plus de deux ans afin de savoir dans quelle mesure leurs obligations contractuelles respectives étaient affectées par la pandémie du fait des dispositions légales inédites qui ont restreint l’accès de la clientèle aux commerces (jauge, fermetures administratives, port du masque, protocole sanitaire.).

Se posait alors la question de savoir si les loyers commerciaux restaient exigibles durant les périodes de fermetures administratives.

Cette joute juridique aux répercussions très pratiques a semble-t-il connu un dénouement le 30 juin dernier, puisque la Cour de cassation s’est prononcée sur les principaux moyens avancés par les parties (I) dans trois arrêts distincts (21-19.889 ; 21-20.127; 21-20.19).

Comme souhaité tant par les parties que par leurs conseils, ces décisions viennent unifier une jurisprudence très disparate et peuvent inciter les parties prenantes à privilégier une issue amiable (III).

I- Quelle est la position de la Cour de cassation sur les moyens analysés dans les trois arrêts du 30 juin 2022 ?

Pendant près de deux ans, les bailleurs et les preneurs ont invoqué, de façon récurrente, plusieurs moyens de droit.

A ce titre, la Cour de cassation a sélectionné trois pourvois qui lui permettaient d’analyser une grande majorité d’entre eux.

Ainsi, la Cour a pu statuer sur :

  • Le moyen tiré de la perte de la chose louée (article 1722 du Code civil) (a)
  • Le moyen tiré de l’obligation de délivrance du bailleur (article 1719 du Code civil) (b);
  • Le moyen tiré de la force majeure (article 1218 du Code civil) (c);
  • Le moyen tiré de la bonne foi (article 1104 du Code civil) (d).

Pour l’heure, la Cour de cassation n’a pas examiné le moyen tiré de la théorie de l’imprévision codifiée à l’article 1195 du Code civil.

a) La perte de la chose louée

Les preneurs ont soutenu pendant plus de deux ans que les mesures administratives interdisant la réception du public dans les locaux pris à bail du fait de l’épidémie de Covid-19 s’apparentaient à une perte partielle de la chose louée justifiant une réduction du loyer en application de l’article 1722 du code civil.

Les preneurs ont ainsi argué du fait que :

  • la destruction de la chose louée visée à l’article 1722 pouvait s’entendre d’une perte juridique relevant d’une décision administrative,
  • cette perte partielle ou totale pouvait être temporaire ou définitive

Cette interprétation extensive de la notion de perte de la chose louée a été retenue par plusieurs juridictions (Cour d’appel de Paris, Pôle 1, ch. 3, 30 mars 2022, n° 21/16710 Cour d’appel de Paris pôle 1, chambre 8, 2 juillet 2021 n°20/08315 ; Cour d’Appel de Versailles, 14ème chambre 4 mars 2021, n° 20/02572)

Or, la Cour de cassation n’a pas repris cette interprétation à son compte.

En effet, elle a retenu que l’interdiction de recevoir du public en période de crise sanitaire ne peut être assimilée à une perte de la chose louée au sens de l’article 1722 du code civil dans la mesure où cette interdiction est générale et temporaire, qu’elle est sans lien avec la destination du local et qu’elle n’est pas imputable aux bailleurs.

b) L’obligation de délivrance du bailleur

Les preneurs ont en outre soutenu que les bailleurs avaient manqué à leur obligation de délivrance, dès lors que l’interdiction administrative de recevoir du public les a empêchés d’exploiter les locaux conformément à leur destination contractuelle, leur activité impliquant la réception du public.

Or, la Cour de cassation a considéré que la mesure générale de police administrative portant interdiction de recevoir du public n’est pas constitutive d’une inexécution par le bailleur de son obligation de délivrance.

En substance, la Cour indique que les locaux étaient à disposition du locataire et que l’impossibilité d’exploiter relève du seul fait du législateur, sans pouvoir être imputée au bailleur.

A nouveau, la Cour de cassation relève l’absence de lien entre les fermetures administratives et la destination contractuelle.

Toutefois, on peut s’interroger sut cette solution, dès lors que la réception du public fait nécessairement partie de la destination d’un local à usage de commerce et que le bailleur doit s’assurer que son locataire puisse exploiter selon cette destination notamment au regard de la conformité administrative du local.

En définitive, il est donc impossible pour le preneur de se prévaloir de l’exception d’inexécution pour suspendre le règlement de ses loyers.

c) La force majeure

Les preneurs ont dès le début de la crise sanitaire soutenu que la crise sanitaire entrainée par la pandémie de COVID 19 remplissait les conditions pour être qualifiée d’évènement de force majeure (extérieure, imprévisible, irrésistible).

La Cour de cassation a opéré une appréciation textuelle de l’article 1218 du Code civil en retenant que la force majeure s’appliquait lorsqu’un événement échappe au contrôle du débiteur et l’empêche d’exécuter son obligation.

Or en l’espèce, la Cour a considéré que le locataire, créancier de l’obligation de délivrance de la chose louée et non débiteur de cette obligation n’était pas fondé à invoquer à son profit la force majeure.

Il convient de noter que la Cour de cassation ne reprend pas les critères habituels définissant la force majeure, à savoir l’imprévisibilité, l’irrésistibilité et le caractère extérieur mais définit cette notion en se référant à la personne empêchée.

Rappelons que la Cour de cassation avait exclu la possibilité d’invoquer une force majeure pour s’exonérer d’une obligation pécuniaire (Cour de cassation, 16 septembre 2014, n° 13-20.306).

d) La bonne foi

Les preneurs s’étaient fondés sur les articles 1104 (ancien article 1134 alinéa 3) et 1194 du Code civil car la jurisprudence a pu imposé au visa de ces deux articles une obligation de coopération des parties contractantes, ainsi qu’une obligation de renégociation du contrat lorsque l’équilibre de celui-ci a été notablement modifié par des circonstances extérieures aux parties.

La Cour de cassation a apprécié, in concreto, le respect de l’obligation de bonne foi.

La Haute juridiction a retenu une interprétation très souple du principe en considérant qu’un bailleur qui avait vainement proposé de différer le règlement du loyer d’avril 2020 pour le reporter sur le 3° trimestre, voire sur le 4° trimestre avait manifesté sa bonne foi.

Cette position laisse une mince marge de manœuvre aux juridictions saisies puisqu’elles auront à apprécier au cas par cas le respect de l’obligation de bonne foi des bailleurs, sachant que rares sont les bailleurs qui n’ont pas fait de proposition, au moins pour se prévaloir de leur bonne foi.

II- Quelles sont les conséquences des arrêts rendus par la Cour de cassation ?

La Cour de cassation en rejetant les arguments développés par les preneurs s’est donc prononcée en faveur de l’exigibilité des loyers durant les périodes de fermetures administratives.

Cette position concerne pour l’instant les fermetures administratives opérées durant la première période de confinement, de mars à juin 2020, mais peut, au regard de son caractère général être transposée aux autres périodes de fermetures et aux autres mesures de restrictions.

A ce titre, les preneurs ne peuvent pas solliciter de réduction, suspension ou échelonnement de leurs loyers, sauf à ce qu’un accord soit trouvé avec le bailleur.

Les mesures d’aides auxquels les locataires ont eu droit par ailleurs (fonds de solidarité, chômage partiel, prêt garanti par l’Etat etc.) n’ont pas affecté cette exigibilité, elles ont simplement neutralisé les poursuites ou les sanctions encourues en cas de non-paiements (ex : pénalités de retard) pour les entreprises répondant à certains critères.

Enfin, il n’est pas exclu que ces mêmes mesures d’aide aient été prises en considération par la Cour de cassation au moment de statuer dans le sens des bailleurs, lesquels n’ont bénéficié que du crédit d’impôt en contrepartie d’un abandon de loyer pour le mois de novembre 2020.

III- Quel est le comportement à adopter pour les bailleurs et les preneurs ?

Côté bailleur ou côté preneur, il est essentiel de favoriser la négociation et de trouver un accord pour conserver la qualité des relations contractuelles.

Dans ce cadre, le preneur pourra alors insister sur l’obligation de bonne foi du bailleur et solliciter à minima un échéancier tandis que le bailleur pourra reprendre la motivation de la Cour à son profit en indiquant que l’intégralité des loyers sont exigibles tout en proposant des mesures d’accompagnement.

A ce jour, la Cour de cassation n’a pas statué sur le moyen tiré de l’imprévision.

Néanmoins, l’article 1195 du Code civil précise expressément que la partie qui demande la renégociation du contrat doit continuer d’exécuter ses obligations durant la renégociation, de sorte que les preneurs qui, pour la très grande majorité d’entre ceux, ont suspendu le règlement de leurs loyers, ne peuvent se prévaloir d’un tel moyen.

La Cour de cassation n’a pas voulu faire peser sur les bailleurs les conséquences financières de cette crise sans précédent, mais ces décisions conduisent à en faire supporter les conséquences aux preneurs qui n’ont pas tous bénéficié de toutes les aides gouvernementales, à défaut de remplir les critères.

Le bail commercial implique une relation sur le long terme, de sorte qu’il ne peut qu’être recommandé aux bailleurs de demeurer à l’écoute de leurs preneurs et de trouver une solution qui préserve les relations de parties pour l’avenir.

 

Focus : L’impact de la loi n° 2022-1089 du 30 juillet 2022 mettant fin aux régimes d’exception créés pour lutter contre l’épidémie liée à la covid-19 sur les mesures de protection des locataires commerciaux

« Le Gouvernement n’estime pas nécessaire de proroger le régime de l’état d’urgence sanitaire, créé au printemps 2020, et le régime post-crise sanitaire instauré par la suite. Ces deux régimes prennent fin le 31 juillet 2022, comme l’a prévu la loi du 10 novembre 2021. En revanche, une reprise de l’épidémie étant toujours possible, le projet de loi prévoit le maintien d’un dispositif de veille et de sécurité sanitaire. » (https://www.vie-publique.fr/loi/285591-projet-de-loi-2022-passe-sanitaire-aux-frontieres-covid-19).

La loi du 30 juillet 2022 entrée en vigueur le 1er août 2022 vient mettre fin aux régimes d’exception utilisés pour lutter plus efficacement contre la pandémie de Covid-19 même si le gouvernement reste vigilant sur une éventuelle reprise.

En supprimant ces régimes, la loi est également venue abroger l’article 1er de la loi n°2020-856 du 9 juillet 2020 et l’article 1er de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 en application desquels les mesures de police pouvaient être édictées : le Premier ministre n’aura désormais plus la possibilité de prendre, par décret, des restrictions en termes de circulation, d’accès, de réunion ou de transport des personnes.

Cette abrogation entraîne des conséquences sur les dispositifs de soutien aux locataires commerciaux.

En effet, l’article 14 de la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020 instaurait un système de protection des locataires commerciaux, touchés par une mesure de police, en cas de retard ou de non-paiement des loyers et charges locatives afférents à leurs locaux commerciaux ou professionnels (voir notre article du 16 mars 2021).

Aux termes de cette disposition, les bailleurs étaient dans l’impossibilité d’appliquer des pénalités de retard sur les sommes dues ou même d’intenter une action ou des voies d’exécution forcées à l’encontre de leur locataire. Les bailleurs ne pouvaient pas plus prendre de sûretés réelles ou personnelles ou encore de mesures conservatoires pour garantir le paiement des loyers et charges.

Cette disposition s’appliquait jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle l’activité cessait d’être affectée par une mesure de police prise en application de l’article 1er de la loi du 9 juillet 2020 ou de l’article 1er de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 et ne s’appliquait qu’à certains locataires en fonction de seuils d’effectif et de chiffre d’affaires (Décret du 30 décembre 2020 n° 2020-1766).

Il appartenait alors au locataire de démontrer qu’il était affecté par une mesure de police administrative et qu’il remplissait les critères visés dans le décret du 30 décembre 2020 pour bénéficier de cette mesure.

La fin de l’état d’urgence sanitaire et l’impossibilité pour le gouvernement de prendre de nouvelles mesures de police permet ainsi aux bailleurs de reprendre leur entière liberté d’action à l’encontre des locataires défaillants dans le règlement de leurs loyers, sachant que dans les faits, la majorité des commerces ont cessé d’être impactés, à compter du 14 mars 2022 lorsque l’obligation de port du masque en intérieur a été levée dans les lieux clos et que le pass vaccinal a été suspendu.

Recommandations du cabinet BJA :

Le pôle bail commercial du cabinet BJA est compétent pour analyser votre situation locative et vous accompagner dans les éventuelles négociations et procédures judiciaires à engager, en tant que preneur ou bailleur, par la rédaction d’actes de procédure ou de protocole d’accord.

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