La caducité, dès lors qu’elle frappe l’assignation, constitue un couperet impitoyable à la procédure qui s’en retrouve alors « morte-née ».
Toutefois, lorsqu’elle frappe en fin de course, à la toute fin du chemin judiciaire, soit lorsqu’elle attaque le jugement lui-même, les conséquences et implications liées à la caducité sont bien différentes.
Du latin « caducus’ » signifiant « qui tombe », la caducité est une sanction qui frappe un acte régulièrement formé mais perdant un élément essentiel de validité.
Au cours d’une procédure, la caducité peut frapper tant la citation en justice, en provoquant l’extinction de l’instance par l’anéantissement rétroactif de l’acte introductif, que le jugement.
Elle peut alors être une sanction du temps qui passe et non la seule conséquence de la perte de validité d’un élément essentiel de l’acte.
Le jugement peut souffrir de la caducité lorsqu’il perd son objet ou son fondement juridique. Il en est ainsi lorsqu’un jugement était fondé sur une autre décision de justice qui a été annulée, infirmée ou rétractée (article 625 du Code de Procédure civile).
Autre hypothèse intéressante : la caducité va sanctionner le défaut de signification du jugement en temps utile, soit sanctionner l’écoulement du temps dès lors que le défendeur était absent de la procédure.
La caducité, une sanction spécifique au temps qui passe – dans le cas d’une procédure qui s’est déroulée en l’absence du défendeur
Liée à l’écoulement du temps, la caducité frappe souvent en conséquence de l’inaction d’une partie.
C’est précisément le cas dans l’hypothèse du jugement par défaut ou réputé contradictoire au seul motif qu’il est susceptible d’appel (article 473 du Code de Procédure civile), caduc lorsqu’il n’a pas été signifié au défendeur dans un délai de 6 mois à compter de son rendu.
Il s’agit de l’hypothèse où :
- soit le défendeur n’a pas été cité à personne, pas plus qu’il n’a comparu (jugement par défaut) ;
- soit le défendeur – bien que cité personnellement n’a pas comparu à l’audience, et en outre le jugement est susceptible d’appel (jugement réputé contradictoire).
Le jugement sera alors non avenu pour n’avoir pas été signifié dans les six mois de sa date.
« Non avenu » signifie ici caduc, étant précisé que la caducité opère de plein droit, sans qu’il soit nécessaire de recourir au juge pour la faire constater.
Il convient donc d’être particulièrement diligent dans la signification d’un jugement dans lequel le défendeur n’a pas comparu à l’audience, car contrairement au cas d’un jugement contradictoire, le demandeur ne bénéficie pas des 10 ans usuels pour le faire signifier (article L. 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution).
En doctrine, il est considéré que le jugement caduc n’est ni annulé, in infirmé, mais privé de toute valeur, même probatoire.
L’effet est limité au jugement seul, puisque la procédure quant à elle peut être reprise.
L’article 478 du Code de Procédure civile prévoit ce cas de figure :
« Le jugement rendu par défaut ou le jugement réputé contradictoire au seul motif qu’il est susceptible d’appel est non avenu s’il n’a pas été notifié dans les six mois de sa date.
La procédure peut être reprise après réitération de la citation primitive. »
Il convient de s’arrêter sur l’alinéa 2 de l’article précité, qui parait en effet offrir une alternative au demandeur qui n’a pas été assez diligent pour faire signifier le jugement dans les 6 mois et qui s’en voit opposée la caducité.
Le piège tendu par la jurisprudence au demandeur : la réitération de la citation primitive
Dans ce contexte, le demandeur qui a constaté l’absence de la partie adverse au cours de la procédure, puis obtenu un jugement, peut être tenté de considérer que ce dernier est caduc – passé un délai de 6 mois sans l’avoir signifié – et dès lors envisager une reprise de la procédure conformément à l’alinéa 2 de l’article 478 du Code de Procédure civile.
Attention toutefois au piège tendu au demandeur malavisé : il serait tenté de prendre la caducité du jugement non signifié dans les 6 mois pour acquise et de réitérer l’assignation primitive.
Cette dernière possibilité est bien offerte par le même article 478 du Code de Procédure civile, alinéa 2.
Or – et l’article ne pose pas cette condition supplémentaire qui est un ajout de la jurisprudence – seul le défendeur peut se prévaloir du caractère non avenu du jugement.
La jurisprudence est donc venue affiner l’article et poser le principe :
« En application de l’article 478 du Code de Procédure civile, seule la partie qui n’a pas comparu ni été citée à personne peut demander à ce que soit constaté le caractère non avenu du jugement. » (2ème chambre civile, 17 mai 2018, n° 17-17.409)
En effet, dans l’esprit du Code, la disposition de l’alinéa 1 de l’article 478 du Code de Procédure civile est protectrice du défendeur qui n’a pas comparu et qui n’est donc pas informé du rendu d’un jugement à son encontre.
Il est considéré par équité que le défendeur ignorant du jugement rendu à son encontre ne saurait subir une mesure d’exécution forcée pendant un délai supérieur à 6 mois.
Le demandeur quant à lui a parfaite connaissance du jugement et il lui appartient d’être diligent en le faisant rapidement signifier.
Ainsi, le demandeur qui procéderait à une réitération de l’assignation primitive se verra systématiquement soulever une fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée du précédent jugement, possiblement soulevée d’office par le juge, si ce n’est pas la partie adverse.
Dès lors, le demandeur pourrait délivrer une réitération de la citation primitive dans un seul cas de figure : après avoir tenté d’exécuter le jugement, postérieurement au délai de 6 mois, le défendeur se serait prévalu du caractère non avenu du jugement et la caducité serait donc constatée.
Laborieuse hypothèse dans laquelle le demandeur manquant de diligence tente de faire signifier hors délai le jugement, se voit opposer la caducité et est alors seulement fondé à réitérer la citation primitive !
La question se pose alors : toutefois strictement respectueuse des droits de la défense, la jurisprudence prévoyant que seul le défendeur peut se prévaloir de la caducité du jugement viderait-elle de tout ou partie de sa substance l’alinéa 2 de l’article 478 du Code de Procédure civile, dès lors allant contre l’esprit, l’orthodoxie du texte de loi ?
Une condition contra legem ?
Une autre vision de l’article que celle résultant du parti pris de la jurisprudence précitée est possible, à l’évidence.
En effet, le demandeur à la première procédure, face à l’éventualité d’une caducité soulevée par le défendeur alors qu’il tenterait de faire exécuter le jugement après 6 mois, parait être le seul protagoniste de la procédure fondé à réitérer la citation primitive.
Mais encore, seul le demandeur à la procédure parait avoir un quelconque intérêt à cette même réitération.
Et pour cause, quel serait l’intérêt du défendeur à réitérer l’assignation délivrée contre lui en tout premier lieu, et sous quelle qualité le ferait-il ? L’hypothèse parait absurde.
L’alinéa 2 de l’article 478 ne parait pas avoir en réalité d’autre vocation que de servir une nouvelle action à dans l’intérêt du demandeur dans l’hypothèse où le fruit de ses diligences résultant de la première procédure, le jugement rendu, est privé d’effet.
Davantage, la possibilité de réitération de la citation primitive pourrait être vue comme un tempérament à la faveur offerte aux droits de la défense par le même article – vivement protégés par le délai butoir de signification du jugement de 6 mois.
Dans cet esprit, la réitération de la citation primitive constituerait un rééquilibrage des droits des parties dans la procédure.
Notamment, la réitération permet de reprendre la procédure initiée, et donc de bénéficier de l’arrêt de la prescription au commencement de la première assignation.
Un tel avantage parait pensé encore une fois pour l’intérêt du demandeur.
Certains arrêts de Cour d’appel confirment par ailleurs la validité de la théorie.
Il apparait qu’un syndicat des copropriétaires a parfaitement pu réitérer sa citation primitive, en ce que le jugement était non avenu du seul fait qu’il n’avait pas été notifié dans un délai de 6 mois (Cour d’appel de BESANCON, 4 avril 2023, RG n°21/01309) :
« En l’espèce, force est de constater que le jugement du 27 septembre 2016 n’a pas été signifié aux époux [X] par le syndicat des copropriétaires, dans les six mois de son rendu. Dès lors, devenue non avenue par ce seul fait, cette décision ne peut produire aucun effet ni être revêtue de l’autorité de la chose jugée. »
Le demandeur a donc parfaitement pu réitérer son assignation dans cette espèce, le jugement précédent étant caduc du seul fait qu’il n’avait pas été notifié dans un délai de 6 mois.
La juridiction n’a appliqué aucune condition quant à la qualité de la partie à la procédure – ici demandeur et non défendeur, pour déterminer si celle-ci pouvait se prévaloir de la caducité du premier jugement.
Par ailleurs, confirmant l’existence d’une contradiction insoluble, la Cour de cassation a considéré dans un arrêt du 15 mai 2014 que seule la partie demanderesse pouvait valablement réitérer l’assignation primitive (2ème chambre civile n°13-17.893). Elle a dès lors débouté le défendeur qui tentait de réitérer la première assignation.
Et fort logiquement car, encore une fois, seule la partie à l’origine de la première assignation pourrait la réitérer.
Or, si cette dernière est privée de cette possibilité, car se voyant opposer une autorité de chose jugée, aucune réitération de la citation primitive n’est plus permise, en dehors de l’hypothèse citée plus haut d’un défendeur s’étant prévalu de la caducité d’ores et déjà.
Mais une application très stricte de la jurisprudence pourrait aller plus loin, et considérer qu’en tout état de cause, seul le défendeur peut se prévaloir du caractère non avenu du jugement non signifié dans un délai de 6 mois.
Alors même que le défendeur se serait prévalu de la caducité du jugement pour en empêcher une exécution tardive, le demandeur ne pourrait toujours pas davantage s’en prévaloir pour réitérer l’assignation.
Se pose donc à nouveau la question, que reste-t-il de la possibilité de réitération de la première assignation, si celle-ci ne peut que rencontrer l’échec en ce que la caducité serait alors inexistante pour le demandeur, qui se verra invariablement opposer l’autorité de la chose jugée du premier jugement ?
La jurisprudence, en ajoutant comme condition que seul le défendeur pourrait se prévaloir de la caducité n’a-t-elle pas vidé de toute substance l’alinéa 2 de l’article 478 du Code, lequel n’a tout simplement plus aucune applicabilité pratique ?
En conclusion, l’article 478 du Code de Procédure civile, qui pose une règle procédurale apparemment simple, est in fine riche en interprétation et en ambiguïtés.
Tentant de conjuguer la défense des intérêts d’un défendeur absent et ignorant avec ceux d’un demandeur privé d’un jugement contradictoire, la jurisprudence a semble-t-il choisi son camp, créant une impasse pour le demandeur qui n’aurait pas signifié dans le délai.