Saisie conservatoire : conditions de mise en œuvre

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L’article L511-2 du Code des procédures civiles d’exécution modifié par la loi dite « Habitat dégradé » du 9 avril 2024 permet de procéder à une saisie sur le compte du copropriétaire avant tout procès, puis d’initier une assignation dans le mois.

Cette procédure suscite une force d’attraction en musclant les procédures vis-à-vis de certains copropriétaires débiteurs.

Néanmoins, les conditions restrictives et les risques de contestation font relativiser l’intérêt de cette mesure.

En effet, dans cette note nous procédons à des parallèles existants entre cette saisie conservatoire et celle qui existait déjà en matière de bail d’habitation ou commercial et pour lesquels nous disposons d’une jurisprudence éclairante.

L’article L511-2 du CPCE semble limiter la saisie conservatoire aux seules provisions concernées par l’article 19-2 i) il ne permet pas de déroger aux conditions restrictives prévues à l’article L511-1 CPCE ii) et obéit à des conditions de mise en œuvre strictes iii).

Les seules provisions concernées

L’article L511-2 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit :

« Une autorisation préalable du juge n’est pas nécessaire lorsque le créancier se prévaut d’un titre exécutoire ou d’une décision de justice qui n’a pas encore force exécutoire. Il en est de même en cas de défaut de paiement d’une lettre de change acceptée, d’un billet à ordre, d’un chèque, des provisions mentionnées au premier alinéa de l’article 19‑2 de la loi n° 65‑557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, exigibles ou rendues exigibles dans les conditions prévues au même article 19‑2 ou d’un loyer resté impayé dès lors qu’il résulte d’un contrat écrit de louage d’immeubles ».

Les provisions mentionnées par l’article 19-2 sont les suivantes :

« A défaut du versement à sa date d’exigibilité d’une provision due au titre de l’article 14-1, et après mise en demeure restée infructueuse passé un délai de trente jours, les autres provisions non encore échues en application du même article 14-1 ainsi que les sommes restant dues appelées au titre des exercices précédents après approbation des comptes deviennent immédiatement exigibles. »

Les provisions concernées : il s’agit des provisions dues au titre de l’article 14-1 c’est-à-dire celles qui correspondent au budget prévisionnel et les dépenses pour travaux votées non comprises dans ce budget prévisionnel.

Ainsi, elles ne semblent pas pouvoir être prises en compte dans l’assiette de cette saisie :

  • les frais de recouvrement engagés : mise en demeure, prise d’hypothèque, protocole d’accord, honoraires du syndic.. ;
  • les sommes restant dues appelées au titre des exercices précédents ;
  • les cotisations au fonds de travaux.

En conséquence, il est probable que les sommes qui pourront être bloquées soient très limitées dans la pratique.

En effet, tout l’arriéré des charges ne pourra pas être bloqué mais uniquement les seules provisions indiquées.

èLe syndicat des copropriétaires risque le cas échéant, d’obtenir le seul règlement de ces provisions et de conserver à sa charge les autres dettes du copropriétaire. Autrement, il risque d’avoir à initier en plus une nouvelle procédure et donc de multiplier les frais.

Les conditions cumulatives de l’article L511-1 du CPCE

L’intérêt pratique de cette saisie serait d’exonérer le syndicat des copropriétaires de saisir le juge afin d’obtenir le blocage des fonds.

Néanmoins, le fait qu’il ne soit pas nécessaire d’obtenir l’accord du juge, n’exonère pas le demandeur des conditions d’application de l’article L511-1 du CPCE qui dispose que :

«  Toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement.
La mesure conservatoire prend la forme d’une saisie conservatoire ou d’une sûreté judiciaire. »

Deux conditions d’application cumulatives s’appliquent :

  • Une créance certaine dans son principe ;
  • Des circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement.

L’article L511-2 du CPCE permet uniquement d’être exonéré de l’autorisation judiciaire.

Il est jugé de manière constante que « les conditions d’une créance paraissant fondée en son principe et de circonstances en menaçant le recouvrement sont cumulatives.

Ces deux conditions doivent également être démontrées lorsque la saisie est effectuée en vertu des dispositions de l’article L511-2 du même code. » (Cour d’appel Rouen, ch. Civile et commerciale, 17 mai 2023 n°22/02336 ; Cour d’appel de Colmar, 3ème chambre, 7 nov 2022, n°22/00373 ; Cour d’appel Poitier, 2ème ch. Civile, 25 mai 2021 n°20/01891)

Autrement dit, si le copropriétaire conteste le bien-fondé de la saisie devant le juge de l’exécution, il pourrait demander une mainlevée de la saisie conservatoire.

Alors, le syndicat des copropriétaires devra justifier de la réalisation de ces deux conditions cumulatives et à défaut pourrait se faire condamner à réparer le préjudice causé par la mesure.

Au sein du fascicule[1] sur la saisie conservatoire il est rappelé que :

« Il faut alors se rappeler que le créancier agit à ses risques et périls, et que, s’il est donné mainlevée de la mesure conservatoire , il est condamné à réparer le préjudice résultant de cette mesure sur le fondement de l’ article L. 512-2 du Code des procédures civiles d’exécution , sans qu’il y ait à rapporter la preuve d’une faute du créancier (Cass. 3e civ., 21 oct. 2009, n° 08-12.687 : JurisData n° 2009-050153 Procédures 2010, comm. 8 , obs. R. Perrot).

Autrement dit, le syndicat des copropriétaires (et/ou le syndic) risque de se faire condamner à des dommages et intérêts s’il ne justifie pas de ces deux conditions cumulatives.

Afin de justifier de l’existence d’une créance certaine, le syndicat devra apporter les preuves nécessaires au recouvrement des charges de copropriété : PV des AG votant le budget provisionnel et les travaux, décompte des provisions visées à l’article 19-2, l’ensemble des appels de fonds correspondant, la mise en demeure visant l’article 19-2, contrat de syndic, titre de propriété, certificat de non-contestation des AG correspondantes.

Afin de justifier l’existence d’un péril dans le recouvrement des charges, la preuve sera plus difficile à apporter.

En effet, le syndicat des copropriétaires bénéficie de plusieurs garanties limitant le risque de péril dans le recouvrement : opposition en cas de vente, hypothèque légale, privilège et le cas échéant il peut même procéder à une saisie-immobilière du bien.

Dès lors, le copropriétaire débiteur saisi pourrait prétendre que le péril dans le recouvrement serait difficilement justifiable.

A l’inverse, le syndicat des copropriétaires pourrait se prévaloir du fait que le fait que « le silence de la débitrice, en dépit d’une mise en demeure, crée au moins une apparence de défaillance, qui suffit à caractériser une menace dans le recouvrement de la somme litigieuse (Cour d’appel Orléans, 26 nov. 2020, n°20/005221).

Ainsi, le syndicat des copropriétaires pourrait justifier dans certains cas spécifiques que le copropriétaire avait été relancé à plusieurs reprises, et éventuellement que des mesures d’exécution à son encontre dans le passé avaient été infructueuses (ancien jugement, hypothèque prise par d’autres créanciers sur le bien…)

Les autres conditions de mise en œuvre
  • Une assignation doit être délivrée dans le délai d’un mois à compter de la saisie ;
  • afin de bloquer des provisions rendues exigibles par anticipation, il devra délivrer en amont une mise en demeure spécifique à l’article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965 et en aval suivre une procédure accélérée au fonds visant cet article ;
  • bénéficier des coordonnées bancaires du copropriétaire débiteur. En effet, cette saisine conservatoire ne permet pas au commissaire de justice de bénéficier du fichier national des comptes bancaires et assimilé (FICOBA) afin de rechercher ses informations bancaires.

Il convient de noter une tendance récente des juges du fond à rejeter la procédure accélérée de recouvrement des charges sur le fondement de l’article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965 en recherchant des irrégularités parfois farfelues dans le formalisme de la mise en demeure ou des sommes visées par cette dernière.

Le risque si la saisie conservatoire oblige à emprunter la procédure accélérée au fond serait en cas de débouté de contraindre le syndicat des copropriétaires d’aller jusqu’en appel pour avoir gain de cause…

En outre, certaines juridictions ne donnent que des dates très lointaines pour éviter que ce contentieux ne prenne trop d’importance.

En conclusion, la saisie conservatoire des provisions sur charges de copropriété semble pouvoir être envisagée de manière assez restrictive dans l’hypothèse où les provisions votées permettent de bloquer une somme considérable et que le syndicat des copropriétaires puisse se ménager la preuve le cas échéant d’un péril dans le recouvrement.

En attendant, il nous semble que cette mesure a été adoptée dans le contexte de l’élargissement de l’emprunt collectif pour permettre de réaliser une saisie sur les provisions de travaux correspondant à l’emprunt.

[1] Fasc. 1700-10 du JurisClasseur procédure civil actualisé le 11 septembre 2023 : MESURES CONSERVATOIRES. – Dispositions communes

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