Il existe, en droit de la copropriété, un questionnement récurrent sur la place des lots de jouissance, leur nature et leur qualification juridique.
La loi ELAN est venue apporter un cadre juridique au droit de jouissance privative mais reste muette concernant les lots de jouissance.
Il convient donc d’analyser la jurisprudence venue pallier ce silence juridique en apportant des précisions et des solutions à la problématique.
La consistance d’un lot de jouissance
La loi ELAN promulguée le 23 novembre 2018 a apporté des précisions concernant les droits de jouissance privative.
Le droit de jouissance privative est désormais défini à l’article 6-3 de la loi du 10 juillet 1965 comme : « une partie commune affectée à l’usage ou à l’utilité exclusif d’un lot. (…) Le droit de jouissance privative est nécessairement accessoire au lot de copropriété auquel il est attaché. Il ne peut en aucun cas constituer la partie privative d’un lot. »
De cette définition découlent deux affirmations :
- Un droit de jouissance privative porte uniquement sur une partie commune.
- Un droit de jouissance privative ne peut constituer la partie privative d’un lot.
Il n’est pas rare que l’état descriptif de division mentionne comme constituant la partie privative d’un lot un droit de jouissance privative sans autre mention dans le règlement de copropriété.
Ces lots sont usuellement décrits comme exclusivement constitués d’un droit de jouissance (« privatif », « exclusif », etc.), par exemple « la jouissance exclusive d’un jardin ».
A première vue, nous pourrions penser qu’il s’agit d’un droit de jouissance privative.
Toutefois, pour s’en assurer, il convient de se référer au règlement de copropriété qui prévoit une définition des parties communes et des parties privatives.
Si le règlement de copropriété érige la terrasse ou le jardin en parties communes, alors le lot sera en réalité un droit de jouissance privative.
A défaut, si le règlement de copropriété érige la terrasse en partie privative, il s’agira d’un lot constitué d’une partie privative.
Dans le silence du règlement de copropriété, l’article 3 de la loi du 10 juillet 1965 apporte des précisions.
Il est en effet prévu que « dans le silence ou la contradiction des titres, le sol, les jardins, cours, (…) le gros œuvre sont réputées parties communes ».
Concernant les balcons/loggias qui ne sont pas mentionnés par l’article 3 de la loi du 10 juillet 1965, il convient de distinguer entre l’ossature même des balcons et loggias qui en tant que faisant corps avec le gros œuvre, est partie commune et le revêtement de sol (à l’exclusion de l’étanchéité) qui lui sera considéré comme partie privative.
Concernant les terrasses, en tant que faisant également partie du gros œuvre, la terrasse est qualifiée partie commune.
En tout état de cause, il conviendra, afin de vérifier la consistance du lot de jouissance, de se référer au règlement de copropriété, à la loi ou à la jurisprudence.
Dans un arrêt du 6 juin 2007, la Cour de cassation a jugé qu’un droit de jouissance privative sur une partie commune n’est pas un droit de propriété et ne peut constituer la partie privative d’un lot[1].
En outre, dans un arrêt du 7 décembre 2009, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a réputé non écrite la clause d’un règlement de copropriété constituant en lot un droit de jouissance privative[2].
En conséquence, un lot de jouissance composé d’une partie commune est irrégulier.
Pour autant, littéralement l’article 209 II de la loi ELAN ne prend pas expressément cette situation en considération, en ce qu’il ne vise que la mention expresse dans le règlement de copropriété des parties communes à jouissance privative.
Eu égard aux conséquences possibles qu’une telle situation pourrait engendrer, il convient donc d’envisager sa régularisation au regard de l’article 6-3 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1965 : « Le droit de jouissance privative est nécessairement accessoire au lot de copropriété auquel il est attaché. Il ne peut en aucun cas constituer la partie privative d’un lot. » [3]
L’irrégularité du lot de jouissance
L’article 6-3 de la loi du 10 juillet 1965 ne prévoit pas de sanction concernant ces lots irréguliers et la jurisprudence, une fois encore, est venue pallier ce silence juridique.
Dans un arrêt du 1er mars 2006, la Cour de cassation a jugé que la disparition du lot annulé n’a pas pour effet de faire disparaitre le droit de jouissance privative dont bénéficie le titulaire. [4]
Dans cette continuité, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 2 décembre 2009 que le propriétaire du lot annulé reste titulaire d’un droit réel et perpétuel sur la partie commune[5].
La Cour de cassation a confirmé sa position, dans un arrêt du 9 mars 2022, en jugeant que l’irrégularité d’un lot n’a pas pour effet de le soustraire au régime de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965[6].
Dans cet arrêt du 9 mars 2022, selon le règlement de copropriété établi en 1960, la copropriété comportait un lot numéro 16 désigné comme un jardin mais dépourvu de tantièmes.
L’irrégularité du lot n° 16 au regard de la loi du 10 juillet 1965 ne faisait guère de doute, puisque « le lot de copropriété comporte obligatoirement une partie privative et une quote-part de parties communes, lesquelles sont indissociables. ». En outre, la cour d’appel, par une interprétation souveraine du règlement de copropriété, avait considéré que le jardin étant partie commune, le droit inclus dans le lot devait être requalifié de « droit de jouissance », celui-ci se trouvait doublement irrégulier, si l’on considère qu’un droit de jouissance ne peut, à lui seul, constituer la partie privative d’un lot.[7]
Ce principe est au demeurant consacré par le nouvel article 6-3 de la loi du 10 juillet 1965 qui dispose « Le droit de jouissance privative est nécessairement accessoire au lot de copropriété auquel il est attaché. Il ne peut en aucun cas constituer la partie privative d’un lot ».
Au regard de ce nouveau texte et des « mises à jour » effectuées en application de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 dite « ELAN », il est donc particulièrement intéressant de se pencher sur les conséquences que la Cour de cassation attache à cette composition irrégulière du lot.
Ainsi, la Cour de cassation dans son arrêt du 6 novembre 2002 avait précisément reproché aux cours d’appel d’avoir toléré qu’un lot de « jouissance » soit doté de tantièmes de propriétés, que celui-ci ne pouvant être assorti, selon l’arrêt du 27 mars 2008 que de simples « tantièmes de charges ».
Pour autant, la Cour de cassation soutient de façon très tranchée que l’irrégularité du lot « n’avait pas pour effet de le soustraire au régime de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, dont l’article 1er dispose qu’elle régit tout immeuble bâti ou groupe d’immeubles bâtis à usage total ou partiel d’habitation dont la propriété est répartie par lots entre plusieurs personnes ».
Cependant, son statut demeure obscur : titulaire d’un lot dépourvu de tantièmes de propriété, et même de tantièmes de charges, ne pouvant par conséquent voter en assemblée générale ni obtenir une quelconque autorisation du syndicat des copropriétaires, il est condamné à hanter, tel un fantôme, une copropriété dont il ne peut se détacher.[8]
La régularisation du lot de jouissance
Le concours jurisprudentiel permet de dessiner plus facilement les solutions envisageables pour régulariser ces lots de jouissance.
En toute hypothèse, il convient de distinguer deux situations :
- Si le propriétaire d’un lot en jouissance est propriétaire d’un autre lot au sein de la copropriété, sa régularisation passe par sa réunion au lot principal selon un projet d’acte dressé par un Notaire. Il s’agit de la disposition d’un lot par son propriétaire, l’Assemblée générale n’a pas à être sollicitée et le Syndic n’a pas à intervenir.
En effet, le propriétaire des lots concernés par l’opération peut requérir la publication d’un tel acte et il n’est pas nécessaire de procéder à un nouveau calcul des charges par le Géomètre-Expert car les tantièmes s’ajoutent simplement.
Toutefois, cette réunion suppose que les deux lots aient une situation hypothécaire identique.
- Si le propriétaire d’un lot en jouissance n’est pas propriétaire d’un autre lot au sein de la copropriété, deux solutions peuvent être envisagées :
- Ces parties communes peuvent faire l’objet d’une cession à titre onéreux aux titulaires du droit de jouissance pour que ces lots deviennent de véritables lots et que leurs propriétaires soient effectivement redevables de charges. Ainsi, ces droits de jouissance privative deviendraient des lots à part entière constitués par une partie privative.
Cette cession à titre onéreux devra faire l’objet d’une décision de l’Assemblée générale et il conviendra de faire intervenir un Géomètre-Expert afin qu’il modifie l’état descriptif de division. L’intervention d’un Notaire sera également nécessaire aux fins de procéder aux formalités de publication du modificatif.
- Ces « lots » étant des droits de jouissance privative, les titulaires ne peuvent être considérés comme des propriétaires au sein de la copropriété. Par conséquent, il convient de supprimer le lot et les quotes-parts attachées.
En effet, dans un arrêt du 4 novembre 2014, la Cour de cassation a jugé qu’un droit de jouissance privative n’étant pas un lot ne peut pas se voir affecter une quote-part de parties communes[9].
La suppression de ce lot n’a pas pour effet de faire disparaitre le droit de jouissance privative du bénéficiaire. Il restera titulaire d’un droit réel et perpétuel sur la partie commune et devra payer des charges au titre de ce droit qui devront être prévues par le règlement de copropriété.
Cette solution est désormais prévue à l’article 6-3 de la loi du 10 juillet 1965 : « Le règlement de copropriété précise, le cas échéant, les charges que le titulaire de ce droit de jouissance privative supporte. »
Une fois encore, l’intervention d’un Géomètre-Expert afin de réaliser un modificatif à l’état descriptif de division et du Notaire aux fins de procéder aux formalités de publication du modificatif sera nécessaire.
Selon Agnès Lebatteux « Le lot de jouissance a engendré un contentieux important en droit de la copropriété et il est regrettable que ni la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 dite « ELAN », qui a consacré la jurisprudence antérieure sur le droit de jouissance et en prescrivant une mise en conformité ni l’ordonnance du 30 octobre 2019, ni même la toute récente loi 3DS (L. n° 2022-217, 21 févr. 2022, art 89), n’aient cherché à résoudre cet épais mystère. » [10]
L’intervention des tribunaux est alors nécessaire pour établir la véritable qualification de ces lots de jouissance ou une mise en conformité peut venir au renfort de cette situation. La mise en conformité permettra de distinguer le privatif du commun, l’usage, l’entretien et la réparation.
[1] Cass.3ème civ, 6 juin 2007, n°16-13477.
[2] CA Aix-en-Provence, 7 déc. 2009, n°2009-022608
[3] Préconisation du GRECCO (n° 13 du 16 septembre 2021).
[4] Cass. 3ème civ. 1er mars 2006, n°04-18547.
[5] Cass.3ème civ, 2déc. 2009, n°08-20310
[6] Cass. 3e civ., 9 mars 2022, n° 21-12.078
[7] Cass. 3e civ., 6 nov. 2002, n°01-11.882
[8] Cass. 3e civ., 9 mars 2022, n° 21-12.078 ; Agnès Lebatteux ; Loyers et Copropriété n° 4, Avril 2022, comm. 68 ; soumission au statut d’un lot dépourvu de tantièmes de propriété).
[9] Cass 3ème civ, 4 nov. 2014, n°13-22243
[10] Cass. 3e civ., 9 mars 2022, n° 21-12.078 ; Agnès Lebatteux ; Loyers et Copropriété n° 4, Avril 2022, comm. 68 ; soumission au statut d’un lot dépourvu de tantièmes de propriété).